Les enfants pauvres qui sont très inattentifs à la maternelle ont 30 ans plus tard des revenus annuels 10% moins élevés, selon une vaste étude montréalaise.

Ces résultats confirment qu'on fait fausse route en réservant les services de psychoéducation aux enfants les plus turbulents à la fin du primaire, selon l'un de ses auteurs, le psychologue émérite Richard E. Tremblay de l'Université de Montréal.

L'habitude de l'échec

«Les enfants les plus inattentifs à la maternelle sont moins bons en première année», explique M. Tremblay, l'un des coauteurs de l'étude publiée lundi matin dans la revue JAMA Pediatrics, basée sur un suivi de près de 30 ans de 920 garçons des 55 écoles les plus pauvres de Montréal en 1984. «Les parents et leurs amis s'habituent à les voir échouer. À 10-12 ans il n'y a plus rien à faire.»

Ni l'hyperactivité, ni les problèmes de comportement ou d'opposition n'avaient un tel effet sur les revenus. Ces enfants inattentifs représentent environ 5% du total des enfants de ces écoles défavorisées et 30 ans plus tard, ils avaient des revenus moyens 3000$ moins élevés, un peu plus de 10% en moins.

L'étude note que c'est un impact sur le revenu aussi important qu'une différence équivalente avec la moyenne pour ce qui est du quotient intellectuel.

Les enseignants

«La grande leçon de l'étude, c'est qu'il faut se fier aux enseignants pour allouer des ressources aux enfants qui en ont besoin à la maternelle, dit M. Tremblay.

«Les résultats sur l'inattention étaient similaires d'année en année, alors que c'était un enseignant différent qui faisait le test. Mais les directions d'école se sentent obligés de mettre toutes leurs ressources sur les enfants de 10-12 ans qui ont le plus de problèmes, même si on leur dit que ça n'a plus beaucoup d'impact à cet âge. Si on prenait les ressources pour les mettre à la maternelle, on n'aurait plus autant de problèmes avec les enfants de 10-12 ans. Ça prend un simple test de dix minutes qu'un enseignant peut utiliser.»

N'est-ce pas cruel pour les enfants de 10-12 ans d'aujourd'hui, qui se retrouveraient délaissés? «Pour le moment, c'est tough luck pour tout le monde», dit M. Tremblay.

Que pense-t-il de ceux qui avancent que l'un des problèmes est le manque d'hommes parmi les profs de maternelle? «Les femmes sont meilleures que les hommes pour déceler ce type de problèmes», répond M. Tremblay.

Riches et médication

Deux ans après la première cohorte, les chercheurs montréalais ont lancé le suivi d'un groupe d'enfants de la maternelle représentatif des différents niveaux de revenus et comprenant garçons et filles. M. Tremblay estime que les résultats devraient montrer que les enfants très inattentifs des écoles moins défavorisées souffrent moins au niveau des revenus 30 ans plus tard.

«Les parents généralement ont plus de moyens pour compenser, pour aider leurs enfants.» Difficile par contre de prévoir ce qui sortira pour ce qui est des filles d'écoles défavorisées.

Et la médication? «Elle peut aider, mais on a aussi testé avec succès des approches de soutien aux enseignants, aux parents et aux enfants, notamment au niveau des comportements prosociaux.»

EN CHIFFRES

1,3 fois : l'impact de la pauvreté des parents est 1,3 fois plus élevé que l'inattention sévère à la maternelle, sur les revenus à 35 ans.

4 fois : l'impact de l'inattention à la maternelle est quatre fois plus élevée que l'agressivité sévère à la maternelle, sur les revenus à 35 ans.

Source : JAMA Pediatrics