Changer de pays et reconstruire son réseau social n'est pas qu'une épreuve psychologique. Chez certaines personnes, le stress engendré peut générer une inflammation qui favorise à long terme les maladies cardiovasculaires.

C'est la conclusion à laquelle est arrivée une équipe de l'Université Concordia formée du professeur Jean-Philippe Gouin et de l'étudiante Sasha MacNeil et publiée dans la revue Attachment & Human Development. Selon les auteurs, la découverte pourrait aider à mieux cibler les interventions auprès des réfugiés et déplacés, qui sont de plus en plus nombreux sur la planète.

«Les immigrants subissent un changement forcé de leurs relations interpersonnelles. Lorsqu'ils arrivent dans leur nouveau pays, ils ont une période d'adaptation et d'acculturation», explique Jean-Philippe Gouin, professeur de psychologie à Concordia.

«Certaines personnes sont très bonnes pour s'adapter, d'autres, beaucoup moins. Notre intérêt est d'étudier l'impact de ces capacités d'adaptation sur la santé.»

Pour étudier le stress vécu par les gens qui changent de pays, les chercheurs ont eu l'idée de braquer les projecteurs sur des sujets bien particuliers : les étudiants étrangers. Les chercheurs ont recruté 58 étudiants d'un peu partout dans le monde qui venaient tout juste d'arriver à l'Université Concordia. Oubliez les échanges étudiants d'une session : les chercheurs voulaient des gens qui devaient se reconstruire un réseau social à long terme et ont donc exclu les étudiants qui arrivaient ici pour moins de deux ans. Les étudiants en couple, donc susceptibles d'avoir au moins une attache forte, ont aussi été exclus de l'étude.

Environ trois semaines après leur arrivée, les scientifiques ont fait remplir des questionnaires aux étudiants afin d'évaluer leur «style d'attachement», soit leur façon naturelle de former des relations avec les autres. Ils les ont aussi questionnés sur leur intégration dans leur nouveau pays et ont effectué des prises de sang. L'exercice a été répété deux mois, puis cinq mois plus tard.

Traquer l'inflammation

En analysant le sang des participants, les chercheurs étaient à l'affût d'une molécule bien précise : la protéine C réactive. Lorsqu'elle est détectée, cette substance est un signe d'inflammation généralisée. À long terme, une telle inflammation rend le corps vulnérable à toutes sortes de maladies, notamment cardiovasculaires.

La plupart des étudiants de l'étude avaient des niveaux de C réactive indétectables. Mais les chercheurs ont décelé la molécule chez une catégorie d'étudiants bien précise : ceux qui ont un style d'attachement de type anxieux, caractérisé par la peur d'être rejeté ou abandonné par les autres.

«Quand ce type de personne se retrouve dans un milieu où elle ne connaît personne et doit développer plusieurs nouvelles relations sociales, et dans un nouveau contexte culturel de surcroît, elle peut éprouver des difficultés.»

L'étude tend à montrer que certaines personnes sont plus prédisposées que d'autres à développer des problèmes de santé lorsqu'elles quittent leur milieu pour un autre. Dans le cas des étudiants de l'étude, pas de panique : les niveaux de C réactive demeuraient bas, et c'est à long terme que l'inflammation dont ils sont un signe peut miner la santé.

Jean-Philippe Gouin est plus inquiet pour le nombre grandissant de migrants qui fuient des pays comme la Syrie, le Soudan du Sud ou le Venezuela, leurs bébés dans les bras et des perspectives d'avenir pour le moins incertaines, pour tenter de refaire leur vie ailleurs.

«Nos étudiants internationaux sont souvent en santé et éduqués. Ils parlent assez anglais pour être acceptés à l'Université Concordia et se retrouvent avec beaucoup d'opportunités de socialisation. Si on détecte des augmentations de C réactive chez certains d'entre eux, on peut imaginer ce que ça peut être pour un réfugié qui est confronté à des opportunités d'intégration beaucoup moins bonnes et qui peut même souffrir de trauma», dit M. Gouin.

Mieux aider les migrants

Selon le chercheur, le fait de savoir que certaines personnes sont plus susceptibles que d'autres de présenter des problèmes de santé à la suite d'un stress social pourrait servir à mieux aider les migrants.

«Ces connaissances pourraient aider à faire des interventions plus ciblées pour améliorer l'intégration et la santé des gens. Quand on pense au nombre grandissant de réfugiés et de déplacés sur la planète, cela pourrait aider à savoir quand et comment combattre l'isolement», dit Jean-Philippe Gouin.

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DES LIMITES À CONSIDÉRER

Toute étude a des limites, et celle-ci n'y échappe pas. L'une des principales est que les chercheurs ne connaissaient pas le niveau de la protéine C réactive des participants avant leur arrivée à Montréal. Un groupe témoin formé d'étudiants locaux aurait aussi aidé à solidifier les conclusions en montrant que les signes d'inflammation observés sont bien attribuables au style d'attachement et aux défis sociaux rencontrés pendant l'adaptation à un nouveau pays, et non au stress normal d'un début de session vécu par tous les étudiants.