Il est extraordinaire de voir des octogénaires et même des nonagénaires avoir la même mémoire que des gens beaucoup plus jeunes, et les scientifiques peuvent maintenant jeter un coup d'oeil à l'intérieur du cerveau de ces «super aînés» pour tenter de percer leurs secrets.

Ces recherches découlent des tentatives pour le moment décevantes de trouver de nouveaux médicaments pour prévenir et combattre la maladie d'Alzheimer.

Au lieu de ça, «pourquoi est-ce qu'on n'essaie pas de comprendre ce qu'on doit faire pour maximiser notre mémoire ?», demande la neuroscientifique Emily Rogalski, qui dirige une étude sur les super aînés à l'université Northwestern.

Des portions du cerveau rétrécissent avec l'âge, ce qui explique pourquoi la majorité des gens perdent un peu de mémoire en vieillissant, même s'ils évitent des problèmes comme la maladie d'Alzheimer.

On sait maintenant que le cerveau des super aînés rétrécit plus lentement que celui des autres. L'autopsie des premiers super aînés décédés depuis le début de l'étude démontre qu'ils ont nettement plus d'un certain type de cellules nerveuses dans une région reculée du cerveau cruciale à l'attention, a dit Mme Rogalski lors d'une rencontre récente de l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS).

Ces aînés ne sont pas seulement «une curiosité ou une rareté», prévient la neuroscientifique Molly Wagster, de l'Institut national sur le vieillissement, qui finance en partie cette étude. «On peut potentiellement en apprendre beaucoup et s'en servir pour aider tout le monde, même ceux qui semblent se diriger vers une maladie neurodégénérative», a-t-elle dit.

Qu'est-ce qui fait un super aîné ? Un cerveau jeune dans le corps de quelqu'un âgé d'au moins 80 ans. L'équipe de Mme Rogalski a fait passer des tests à plus d'un millier de personnes qui se croyaient qualifiées, mais seulement 5 % d'entre elles ont été retenues. Le principal test de mémoire consistait à entendre 15 mots sans lien entre eux, puis à en réciter au moins neuf 30 minutes plus tard.

C'est la norme pour un quinquagénaire, mais l'octogénaire moyen s'en souvient de cinq. Certains super aînés les ont tous nommés.

«Ça ne veut pas dire que je suis plus intelligent», a dit le super aîné William Gurolnick, qui aura bientôt 87 ans et qui participe à l'étude depuis deux ans.

Il ne peut pas non plus attribuer tout ça à son code génétique: son père a commencé à souffrir de la maladie d'Alzheimer avant d'avoir eu 60 ans. Il croit plutôt que son agenda chargé est responsable de sa mémoire exceptionnelle: il fait du vélo, il joue au tennis et au volleyball aquatique, il fréquente des amis et il s'implique auprès d'une association d'hommes dont il est le fondateur.

«Je pense absolument que c'est un facteur critique pour garder toute sa tête», a-t-il dit au lendemain de sa partie de cartes mensuelle.

Les super aînés de Mme Rogalski sont habituellement des gens extrovertis qui disposent de réseaux sociaux robustes; ils proviennent autrement de toutes les sphères de la société, ce qui complique l'identification d'un facteur unique pour expliquer leur cerveau remarquable. Certains sont allés à l'université et d'autres pas; certains ont un QI élevé, d'autres un QI moyen.

Elle compte parmi ses participants des gens qui ont subi des traumatismes indescriptibles, notamment des survivants de l'Holocauste; des fanatiques de la santé physique et des fumeurs; des gens qui ne consomment aucun alcool et d'autres qui prennent un martini chaque soir.

Mais c'est au plus profond du cerveau qu'elle découvre des signes qui démontrent que les super aînés semblent mieux résister que les autres aux assauts du temps.

Les premiers examens ont révélé que le cortex des super aînés - une couche extérieure du cerveau essentielle à la mémoire - est plus épais que la normale pour leur âge. Il ressemble davantage au cortex en santé de quinquagénaires et de sexagénaires.

On ne sait pas si les super aînés sont nés comme ça. Mais Mme Rogalski et son équipe ont trouvé une autre explication possible: le cortex des super aînés rétrécit plus lentement. Sur une période de 18 mois, l'octogénaire moyen perdait deux fois plus de cortex.

Un autre indice: creux dans le cerveau, une région importante pour l'attention est aussi plus costaude. Des autopsies ont révélé que cette région regorge de «neurones de von Economo», un type de cellule nerveuse encore mal compris, mais qui jouerait un rôle dans le traitement social et la conscience de l'environnement.

Les super aînés disposaient de quatre ou cinq fois plus de ces neurones que l'octogénaire moyen, a dit Mme Rogalski - soit même plus que le jeune adulte moyen.

À l'Université de la Californie à Irvine, la docteure Claudia Kawas étudie les plus vieux des aînés, les gens âgés de 90 ans et plus. Certains souffrent de la maladie d'Alzheimer. D'autres ont encore une excellente mémoire. D'autres sont quelque part entre les deux.

Environ 40 pour cent de ses sujets ne présentaient aucune indication de démence pendant leur vie, même si leur cerveau donnait des signes évidents de maladie d'Alzheimer au moment de leur décès, a-t-elle dit lors du congrès de l'AAAS.

Mme Rogalski a elle aussi trouvé différents signes de maladie d'Alzheimer dans les cerveaux de ses super aînés. Les chercheurs veulent maintenant savoir comment ces aînés échappent aux ravages de la maladie.

«Ils vivent longtemps et bien, a-t-elle dit. Est-ce qu'il y aurait des choses modifiables qu'on pourrait identifier aujourd'hui, dans notre vie de tous les jours, (pour faire de même) ?»