Une baisse radicale du seuil de l'hypertension, suggérée le mois dernier par un prestigieux institut américain, fait des vagues cet automne chez les cardiologues. Réduire la pression systolique à 120 plutôt qu'à 140 diminuerait le risque de mourir de cardiopathie, selon les données préliminaires de cette nouvelle étude.

Le hic, c'est que les chercheurs de l'Institut national du coeur, du poumon et du sang (NHLBI) n'ont dévoilé que des bribes d'information sur leurs résultats. Habituellement, un changement aussi important est appuyé par un dévoilement des principaux paramètres de l'étude dans une revue avec comité de révision, ou à tout le moins dans le cadre d'un congrès médical, déplore Martin Juneau, cardiologue à l'Institut de cardiologie de Montréal.

«Pour le médecin, ça pose un dilemme, dit le Dr Juneau. Le problème, c'est particulièrement pour les personnes âgées. Si on baisse trop, il peut y avoir des problèmes d'équilibre. Si le patient se casse la hanche parce qu'il est tombé, ça peut être très grave. Beaucoup de collègues américains ont eu des critiques semblables. On ne fait pas de la science comme ça.» Le Dr Juneau soulève aussi les risques qu'une pression trop faible cause des problèmes de perfusion dans la circulation. D'autres études par le passé n'ont pas réussi à démontrer qu'abaisser la pression à 120 a plus d'avantages que d'inconvénients.

L'un des auteurs de l'étude du NHLBI, Paul Whelton de l'Université de Tulane, a annoncé à La Presse que les résultats seraient dévoilés le 9 novembre au congrès annuel de l'Association du coeur américaine ainsi que dans le New England Journal of Medicine. «Nous travaillons jour et nuit pour préparer les données, dit le Dr Whelton. Pour nous, ce n'est pas très controversé. Il y a un comité de surveillance très sévère, qui a arrêté l'étude lorsque des seuils préétablis ont été atteints.»

«Une situation difficile»

Deux autres cardiologues montréalais à qui La Presse a demandé leur avis étaient moins cinglants que le Dr Juneau. «C'est une situation difficile, dit Ernesto Schiffrin, de l'Université McGill. J'ai dû, comme président d'Hypertension Canada, publier un message sur Twitter où je recommandais de garder le calme et de suivre les recommandations actuelles jusqu'à ce que nous ayons des données. Cela dit, on peut être pour la transparence et le fait d'informer le public, ou préférer ne pas donner d'information pour s'assurer qu'il n'y ait pas de confusion et de peur. La plupart des gens souhaiteraient la transparence même si elle cause des difficultés.»

Allan Sniderman, aussi de l'Université McGill, note que l'étude n'a pas de financement commercial de compagnies pharmaceutiques. «Ce n'est pas une situation en noir et blanc, dit le Dr Sniderman. Je préférerais évidemment que la publication définitive soit disponible avant une annonce publique, mais je comprends que ce n'est pas toujours possible.»

L'étude, appelée SPRINT, suivait 9000 Américains de plus de 50 ans, dans 90 cliniques. Elle devait durer cinq ans, mais a été interrompue avant la fin parce que les résultats étaient clairs, selon le Dr Whelton. Il précise que l'âge médian était de 68 ans, que près de 30% des cobayes avaient plus de 75 ans et qu'un suivi cognitif et neurologique était inclus.

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50% : Augmentation du nombre de morts dues à l'hypertension dans le monde entre 1990 et 2013

7,5 millions : Nombre de Canadiens souffrant d'hypertension

SOURCE: Medical News, The Lancet, Hypertension Canada

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Diastolique et systolique : Les chiffres 140/90 correspondent respectivement à la pression sanguine enregistrée quand le muscle cardiaque se contracte (systolique) et se relâche (diastolique). Une pression normale est de 130/80.