Le congrès annuel de la Société internationale du sida s'ouvre aujourd'hui à Vancouver. Après 30 ans d'efforts, le virus du sida continue de résister aux assauts des scientifiques. Mais cette fois, de nouvelles approches prometteuses suscitent l'optimisme des chercheurs. La Presse se penche sur les secrets de la résistance du virus du sida... et sur les nouveaux espoirs de les vaincre.

La guérison est au menu du congrès annuel de la Société internationale du sida. Mardi dernier, le plus récent rapport de l'ONUSIDA prévoyait l'éradication de la maladie avant 2030. Et plusieurs présentations porteront sur un médicament qui suscite l'enthousiasme parce que, jusqu'à maintenant, aucune souche du virus n'y est devenue résistante.« On parle de plus en plus de guérir le sida », explique Mark Wainberg, qui dirige le Centre de recherche sur le sida de l'Université McGill, à l'Hôpital général juif. « On avance dans plusieurs approches, c'est très encourageant. »

Le médicament sans résistance est le dolutégravir. « Il faut préciser qu'il n'y a pas eu de résistance dans les essais cliniques et qu'il n'y a pas eu de rapport de résistance aux États-Unis [NDLR : ni au Canada], où il est approuvé depuis deux ans, dit le Dr Wainberg. Mais c'est sans précédent. Et il semble que le dolutégravir transmette sa capacité à ne pas susciter de résistance aux autres médicaments quand il est utilisé en trithérapie. Notre hypothèse est que les mutations qui sont sélectionnées par le dolutégravir ne permettent pas au VIH de se modifier et, donc, que le virus ne peut jamais s'échapper de la pression antivirale. »

En d'autres mots, les portions du virus que cible le dolutégravir sont essentielles non seulement à sa survie, mais aussi à sa capacité de se transformer pour développer une résistance aux médicaments. Comme le virus est incapable de se transformer, il ne devient pas résistant au dolutégravir.

Pourrait-on donner le dolutégravir à tous les séropositifs pour éradiquer totalement la maladie ? « Oui, mais ça coûterait cher. On cible plutôt la "guérison fonctionnelle". Il s'agit de modifier le système immunitaire du patient pour qu'il soit capable de lutter seul contre le virus s'il réapparaît après le traitement. C'est ce qui pousse l'ONUSIDA à déclarer que l'éradication est possible pour 2030. » 

« Je pense qu'on pourra démontrer en essais cliniques une thérapie de guérison fonctionnelle qui marche d'ici une décennie, avant 2025 », croit Mark Wainberg, directeur du Centre de recherche sur le sida de l'Université McGill.

L'autre avenue de recherche prometteuse, selon le Dr Wainberg, est l'attaque des zones du corps où le virus se réfugie durant la trithérapie. Deux présentations étaient particulièrement attendues sur le sujet à l'occasion d'un symposium préparatoire, Towards an HIV Cure, hier et aujourd'hui à Vancouver.

« Le virus a la capacité de se mettre en latence, dit le Dr Wainberg. Il est alors indétectable par les médicaments. Et il peut recommencer à se multiplier après l'arrêt des traitements. Plusieurs équipes cherchent un moyen de faire sortir le virus de sa latence pour que les médicaments puissent l'attaquer. »

Un ennemi incroyablement coriace

Les meilleurs chercheurs de la planète lui font la guerre depuis maintenant 30 ans. Des centaines de milliards de dollars ont été canalisés contre lui. Pourtant, le virus du sida (VIH) continue de défier la communauté scientifique. Comment un organisme 1000 fois plus petit que l'épaisseur d'un cheveu peut-il déjouer des efforts d'une telle ampleur ? Voici quatre secrets expliquant sa résistance.

Il sabote directement les lignes de défense

Un virus doit infecter une cellule pour se reproduire. Et celui du sida ne choisit pas n'importe lesquelles : il vise les lymphocytes T CD4 et les macrophages, des cellules justement conçues pour l'attaquer.

« Ce sont des cellules qui génèrent une réponse immunitaire contre n'importe quel pathogène, que ce soit le VIH ou tout autre virus ou bactérie », explique Éric A. Cohen, chef d'équipe du Consortium canadien de recherche sur la guérison du VIH et professeur à l'Institut de recherches cliniques de Montréal et à l'Université de Montréal.

Cela explique pourquoi les patients infectés par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) qui ne sont pas traités voient leur système immunitaire bousillé (le fameux syndrome immunodéficitaire acquis, ou sida) et sont vulnérables à toutes sortes d'infections.

Lorsqu'il envahit une cellule de défense du corps, le VIH ne fait pas dans la dentelle. Il s'intègre complètement dans son génome, au point qu'il devient pratiquement impossible de retirer le virus de la cellule sans la tuer. Puis, il commande à cette cellule de fabriquer d'autres virus comme lui. Bref, non seulement le corps a perdu ses soldats, mais ceux-ci se sont transformés en usines à fabriquer des virus.

Il sait rester caché

Certaines des cellules de défense du corps ne prennent pas directement part au combat contre les virus et les bactéries. « Ces cellules, qu'on appelle lymphocytes mémoire, ont une très longue durée de vie. Leur rôle est de garder une mémoire immunologique des pathogènes qu'ils ont croisés de façon à déclencher une réponse immunitaire plus rapide s'ils reviennent », explique M. Cohen.

Lorsque le virus responsable du sida infecte ces cellules, il ne se multiplie pas. Il y reste tapi dans un état de dormance, jusqu'à ce que les cellules soient réactivées. Or, pendant ce temps, il est pratiquement impossible à tuer.

« Cette capacité à se dissimuler est l'obstacle le plus difficile à surmonter », affirme M. Cohen. Depuis 1996, on soigne les patients atteints du VIH avec des antirétroviraux, qui sont capables d'empêcher le virus de se multiplier. Ces médicaments empêchent la progression de la maladie, mais ils sont incapables d'atteindre les virus cachés qui sont en dormance. Les patients ne peuvent donc jamais se débarrasser complètement de l'infection et doivent consommer les antirétroviraux toute leur vie.

Il mute à toute vitesse

L'autre force du VIH est sa capacité à muter.

« Ce virus mute à chaque cycle de multiplication. Chaque fois qu'il se multiplie, une mutation est rajoutée. Il trouve donc très rapidement la combinaison qui le rend résistant à un médicament », explique Éric A. Cohen.

Chez les patients déjà infectés, les médecins déjouent le virus en lui envoyant un cocktail de trois médicaments différents - la trithérapie. Si le virus trouve une mutation qui le rend résistant à un médicament, il en reste deux autres pour faire le boulot. Mais cette capacité de mutation complique grandement le développement d'un vaccin contre le VIH.

« Dès le moment où on réussit à générer une réponse immunitaire efficace contre le virus, celui-ci a déjà muté et tout est à recommencer », dit M. Cohen.

Il a plusieurs tours dans son sac

Anticorps, cellules meurtrières, interférons, macrophages : le corps humain a une panoplie d'armes pour lutter contre les virus et les bactéries. Sauf que le VIH semble avoir trouvé des trucs pour toutes les déjouer.

« Pour tous les types de réponses immunitaires du corps, le VIH a des mécanismes pour faire de l'évasion ou contrecarrer leur action, explique le docteur Cohen. Il fabrique plusieurs protéines dont le rôle est d'échapper à des attaques très spécifiques. On peut dire qu'il a de nombreux outils à son arsenal et qu'il est toujours un cran en avance. »