Il est petit, glabre, presque aveugle et particulièrement laid. Mais dans les laboratoires de recherche sur le cancer, c'est la vedette de l'heure. Aucune tumeur maligne n'a jamais été détectée chez le rat-taupe nu. Et les chercheurs savent maintenant pourquoi il ne contracte pas le cancer. Le singulier animal pourrait bien détenir la clé d'un éventuel traitement contre l'un des plus grands tueurs de la planète. Zoom sur un rongeur pas comme les autres.

Une molécule contre le cancer

En juin dernier, des chercheurs de l'Université de Rochester, aux États-Unis, ont découvert pourquoi le rat-taupe nu était à l'abri du cancer. C'est grâce à l'acide hyaluronique, une molécule qui empêcherait la formation de tumeurs dans l'organisme. Selon les chercheurs Vera Gorbunova et Andrei Seluanov, qui ont publié leurs résultats dans la revue Nature en juin dernier, la masse moléculaire de l'acide hyaluronique chez le rat-taupe nu est cinq fois supérieure à celle de la souris. Afin de vérifier leur hypothèse, les chercheurs ont réussi à stopper la production de cette molécule chez l'animal. Conséquence : des tumeurs ont fini par se former. Le rongeur n'était alors plus à l'abri du cancer. Les chercheurs croient que l'acide hyaluronique pourrait aussi être efficace chez les humains. Mais d'abord, Andrei Seluanov et son équipe vont tenter de tester chez la souris cette protection naturelle contre les tumeurs...

Espérance de vie exceptionnelle

Cet animal qu'on trouve en Afrique de l'Est peut vivre jusqu'à 30 ans. C'est d'ailleurs cette longévité qui a intrigué les chercheurs, habitués à faire des recherches sur le cancer avec des souris, qui vivent en moyenne de deux à quatre ans. Son espérance de vie exceptionnelle serait due au fait que l'animal a acquis une forme d'immunité contre le cancer et les maladies cardiovasculaires. Le rat-taupe nu, heterocephalus glaber de son nom scientifique, est aussi en mesure de ralentir son métabolisme, ce qui réduit notamment le stress oxydatif, une forme d'agression des cellules qui accélère le vieillissement.

Plus de cellules, plus de cancer?

Le cancer, c'est en quelque sorte le résultat d'une anomalie, d'une erreur dans la formation des cellules, explique Daniel Martineau, professeur de médecine vétérinaire et spécialiste du cancer chez les animaux. Logiquement, plus une espèce a de cellules, plus le risque de cancer est élevé. La souris, plus petite que l'homme, devrait être moins susceptible de souffrir du cancer. Et le risque devrait être plus élevé chez la baleine, beaucoup plus grosse. Mais dans les faits, la prévalence du cancer est plus élevée chez les souris et les rats que chez l'humain. Ce qui explique la popularité de l'animal dans les laboratoires de recherche. À l'autre extrémité, le taux de cancer chez les baleines, qui ont pourtant 1000 fois plus de cellules, n'est pas plus élevé que chez l'homme. Mais étudier les baleines en laboratoire n'est guère envisageable.

Cette percée dans la recherche avec le rat-taupe nu est donc très importante, estime Daniel Martineau. Un article de Natural Review paru en mai dernier a d'ailleurs signalé que la découverte des mécanismes par lesquels certaines espèces - comme le rat-taupe nu - arrivaient à se protéger du cancer pourrait bien mener à une meilleure prévention de la maladie chez l'humain.

Le rat-taupe nu en bref

Est-il un rat? Est-il une taupe? C'est assurément un rongeur. Son organisation sociale rappelle celle des insectes. Les rats-taupes nus ont une reine qui assure la reproduction de l'espèce. Il y a quelques mâles reproducteurs, mais tout le reste de la colonie, qui peut comprendre de 70 à 300 individus, travaille à creuser les tunnels et chercher la nourriture. Autre particularité, l'animal est insensible à la douleur.