La publication officielle samedi de la dernière édition du manuel de référence pour le diagnostic des maladies et troubles mentaux de la psychiatrie américaine suscite de vives controverses dans la discipline et au-delà.

Il s'agit de la cinquième édition et de la première révision depuis près de 20 ans de ce document (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders - DSM-5) pilotée par l'American Psychiatric Association (APA) forte de 35 000 membres.

La refonte des critères définissant l'autisme qui englobe désormais toutes les formes de ce trouble dans une seule catégorie appelée «trouble du spectre autistique», a été l'un des changements proposés les plus controversés.

Selon certains psychiatres et fondations privées, cette nouvelle nomenclature pourrait exclure nombre d'enfants atteints de variantes du syndrome comme Asperger.

Le guide DSM sert de référence aux compagnies d'assurances maladie pour le remboursement des soins et médicaments ainsi qu'aux agences gouvernementales fédérales, des États et locales pour octroyer des aides ou l'accès à des programmes scolaires spécialisés.

Si la définition de l'autisme a été resserrée, celle du syndrome du déficit d'attention a été élargie tandis que de «nouveaux troubles» ont été ajoutés comme la dépression grave provoquée par le décès d'un être cher, les crises de colère extrêmes et fréquentes des jeunes enfants ou encore les trous de mémoire occasionnels chez des personnes plus âgées appelés «troubles neurocognitifs légers».

L'American Psychiatric Association, réunie ce week-end à San Francisco, fait valoir que ces révisions dans son nouveau manuel de 947 pages vont aider les médecins à établir de meilleurs diagnostics et à mieux choisir les traitements.

Mais les détracteurs mettent en garde contre un abus des diagnostics et une surmédicalisation pour traiter des états de stress passagers normaux de la vie.

Le Dr Allen Frances, professeur retraité de psychiatrie de l'Université Duke (Caroline du Nord), estime que la «nouvelle bible de la psychiatrie» va aggraver l'inflation actuelle de diagnostics de troubles psychiatriques et transformer des millions de personnes normales en malades mentaux».

Ce psychiatre respecté dénonce notamment la pratique actuelle de la psychiatrie dans un livre publié le 14 mai, intitulé «Saving Normal» (préserver ce qui est normal).

Des critiques du nouveau manuel vont au-delà de la classification des troubles mentaux et visent son approche même.

Ainsi le Dr Thomas Insel, directeur du «National Institute of Mental Health», plus grande institution publique au monde de recherche sur la santé mentale, estime que le manuel manque de pertinence, car il se borne seulement à décrire des symptômes des troubles mentaux.

«Alors que le manuel DSM est présenté comme la bible de la psychiatrie, il n'est au mieux qu'un dictionnaire, créant un ensemble de labels dont il apporte une définition», écrit-il dans son blogue.

Il explique que son objectif est de changer la direction de la recherche en santé mentale en se concentrant sur la biologie, la génétique et la neurologie pour que la science puisse définir les troubles mentaux par leurs causes plutôt que par leurs symptômes.

«Tant que les chercheurs prendront le manuel de psychiatrie pour la bible de la discipline, nous ne ferons jamais de progrès», a-t-il par ailleurs déclaré dans une interview au New York Times.

«Nous sommes encore au tout début de la compréhension des dysfonctionnements des fonctions mentales comme d'ailleurs des fonctions normales du cerveau», explique à l'AFP le Dr Liza Gold, professeur de psychiatrie clinique à la faculté de médecine de l'Université Georgetown à Washington.

Elle rappelle que le président Barack Obama a lancé en avril un ambitieux projet de recherche visant à percer les mystères du cerveau humain qui devrait ouvrir la voie à des traitements pour guérir, voire prévenir des pathologies cérébrales comme Alzheimer, Parkinson ou soigner des traumatismes cérébraux et des troubles psychiatriques.

«L'initiative sur le cerveau donnera aux scientifiques les outils dont ils ont besoin pour obtenir une image du cerveau en action et permettra de mieux comprendre comment nous pensons, apprenons et mémorisons», avait dit M. Obama.