Le titre est provocateur? C'est celui qu'a choisi le quotidien torontois The Globe and Mail pour raconter avec un luxe de détails l'histoire de cette pénurie mondiale d'isotopes dont le Canada est, en partie, responsable.

Isotopes médicaux. L'expression est aussi éloignée de notre réalité quotidienne qu'il est possible de l'être et pourtant, le principe est facile à comprendre : on se sert de ces éléments radioactifs pour voir ce qui ne peut être vu par les techniques conventionnelles.

Les bonnes vieilles radiographies, pour observer l'intérieur de notre corps, c'était bien, mais l'imagerie médicale, c'est beaucoup mieux. Et sans isotopes médicaux, pas d'imagerie. Les chiffres officiels font état de 70 000 hôpitaux et institutions de santé, à travers le monde, qui comptent sur ces isotopes pour diagnostiquer cancers, problèmes cardiaques et autres maux.

Or, pour produire ces isotopes, nommément le molybdenum-99, il faut des réacteurs nucléaires. Seuls quelques-uns à travers le monde sont spécifiquement adaptés à cette tâche. Avec son réacteur de Chalk River, en Ontario, le Canada avait donc développé au fil des décennies une expertise unique au monde. Sauf que ce réacteur est âgé de 52 ans. Qu'il ait davantage besoin de réparations dans les années 2000 que dans les années 1950 n'était donc pas difficile à prévoir.

«Ce n'est pas la faute du gouvernement si [ce réacteur] est en panne», réagit dans le Globe and Mail le physicien Norman Laurin, de l'Hôpital régional de Trois-Rivières. «C'est la gestion de la crise qui aurait dû être bien mieux menée.»

En d'autres termes, la crise était évitable. Ce qui veut dire qu'il y a en ce moment 70 000 hôpitaux et institutions de santé qui, à travers le monde, n'ont pas une très haute opinion de «l'expertise» canadienne : d'autant moins que depuis que le Conseil national de recherches a annoncé la fermeture du réacteur, le 18 novembre 2007, sa date de remise en service n'a jamais cessé de reculer (aux dernières nouvelles : printemps 2010).

«Le Canada, jadis considéré comme un chef de file de la production d'isotopes, a nié ses responsabilités face au monde médical», juge le président de la Société internationale de médecine nucléaire.

La résistance du gouvernement conservateur à rouvrir deux plus petits réacteurs Maple (Multipurpose Applied Physics Lattice Experiment), construits sur le même site de Chalk River, n'a pas aidé à redorer son image dans la communauté du nucléaire. Ces deux réacteurs, écrivait Nature en juillet, construits justement en prévision du vieillissement de leur grand frère, auraient pu devenir les premiers réacteurs nucléaires du monde spécifiquement dévolus à la production d'isotopes médicaux, mais ils sont sur la glace depuis mai 2008 : Énergie Atomique Canada avait alors invoqué des questions de sécurité qui seraient trop coûteuses pour être résolues. Un éditorialiste, un ancien ministre et d'autres, ont réclamé depuis le début du mois la relance de Maple.

Parallèlement, des groupes privés mettent leurs propres projets sur la table, promettant être capables de produire des isotopes avec des accélérateurs de particules, ce qui aurait pour avantage de ne pas laisser de déchets nucléaires. Leur efficacité est loin d'être assurée. Un comité gouvernemental doit publier ses recommandations d'ici le 30 novembre.

En attendant, c'est même d'exode des cerveaux dont on commence à parler. Ces experts nucléaires - ingénieurs, médecins, physiciens - qui ont fait en sorte que le Canada soit devenu le principal fournisseur mondial d'isotopes médicaux, iront voir ailleurs, si une éventuelle réouverture de Chalk River et des deux réacteurs Maple continue de reculer, ou si l'option «réacteur nucléaire» est écartée. « Toute cette expertise s'évanouirait », explique Dominic Ryan, président de l'Institut canadien sur la dispersion des neutrons. Et ce ne sont pas seulement 70 000 hôpitaux et institutions de santé qui auraient l'impression qu'on les a laissés tomber.