Vous saviez que le racisme naît d'une tendance naturelle à catégoriser les choses ? Et qu'il peut laisser des traces physiologiques dans le cerveau de ses victimes ? C'est ce qu'on apprend - et bien d'autres choses - en visitant l'exposition Nous et les autres :  Des préjugés au racisme, présentée au musée Armand-Frappier de Laval. Tour d'horizon.

La délicate question du racisme

Une exposition scientifique sur le racisme ? Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas en réaction à cette perception que l'intolérance est en hausse dans nos sociétés. C'est plutôt la visite d'une exposition similaire au Musée de l'homme, à Paris, qui a donné le goût à l'équipe du musée Armand-Frappier de traiter du sujet. « On a eu un coup de coeur. On a appris des choses, et ça nous a touchés. Ça nous a donné le goût de partager avec nos visiteurs le désir de prendre soin les uns des autres », explique Guylaine Archambault, directrice générale du musée. L'exposition présentée à Laval est donc celle du musée français, mais adaptée au public québécois (on y a notamment ajouté des volets sur les autochtones). Et puisque le musée accueille de nombreux groupes scolaires, on a porté une attention particulière à la façon d'aborder ce sujet délicat avec les enfants. « Il était important pour nous de ne pas transmettre certains stéréotypes qui auraient pu être inconnus des enfants », dit par exemple Martine Isabelle, directrice de l'éducation au musée Armand-Frappier.

Un comité scientifique formé d'experts en psychologie, sociologie, histoire des sciences, biologie, neurosciences et droits de la personne a épaulé l'équipe du musée.

Quand le cerveau catégorise

Pourquoi le racisme existe-t-il ? L'une des raisons est que notre cerveau est un champion de la catégorisation. Cet organe ne représente que 2 % du poids du corps, mais consomme 20 % de notre énergie. Bombardé d'informations, il doit prendre des raccourcis. Il classe les animaux entre proies et prédateurs, distingue les plantes selon qu'elles sont comestibles ou non.

« Il s'agit d'un processus vital, naturel et spontané », explique Martine Isabelle. Le hic survient quand notre cerveau classe aussi les humains par catégories et, surtout, établit une hiérarchie entre elles. Des êtres complexes sont alors jugés selon une seule caractéristique - la couleur de la peau, la religion. Pour prendre conscience de ces phénomènes, le musée Armand-Frappier a créé des activités interactives au cours desquelles les visiteurs sont invités à classer des objets selon différentes catégories. Pour comprendre comment la catégorisation peut conduire aux préjugés, on leur demandera par exemple quelle est la couleur préférée des filles. Et pour montrer que la réalité est plus complexe que les préjugés, on interrogera les filles présentes. Une primeur : non, elles n'aiment pas toutes le rose.

Le concept de race

Combien de races compte l'espèce humaine ? Réponse : aucune. Contrairement aux chiens et aux chevaux, il n'existe pas de différences génétiques entre différents groupes humains qui permettraient de les diviser en races. Rappelons que tous les humains viennent d'Afrique, le berceau de l'humanité. Aujourd'hui, les plus grandes différences génétiques du globe s'observent entre certaines populations africaines ; les non-Africains, eux, descendent tous du même groupe de quelques milliers d'êtres humains qui ont quitté le continent il y a environ 60 000 ans.

« Chez l'humain, il n'y a pas un gène ou un bloc d'information qui serait seulement présent chez les Noirs, par exemple. Ça n'existe pas », précise Étienne Rouleau-Mailloux, chargé de projet au musée Armand-Frappier, qui s'est penché sur cette question. La couleur de la peau ? « Tout le monde a les mêmes gènes. Il y a seulement certaines variations qui sont plus communes chez certaines populations que d'autres », explique M. Rouleau-Mailloux.

Du racisme sans race ?

Comment peut-on parler de racisme si le concept de race n'existe pas chez l'humain ? La question a de quoi donner des maux de tête. À certains endroits dans l'exposition du musée Armand-Frappier, le terme « racisme » est d'ailleurs mis entre guillemets. « Les gens ont encore cette construction sociale qui fait que même si les races n'existent pas, le racisme, lui, existe », explique Adrien Poumeyrau, responsable des communications du musée Armand-Frappier. Notons que la Charte des droits et libertés, par exemple, interdit encore la « discrimination fondée sur la race ».

Des impacts sur le cerveau

L'exposition se penche non seulement sur les causes scientifiques du racisme, mais aussi sur ses conséquences. Dans la portion « laboratoire » du musée Armand-Frappier, les visiteurs sont invités à revêtir des blouses de laboratoire et à réaliser une expérience inspirée d'une recherche québécoise. Celle-ci a été menée par Caroline Ménard, chercheuse en neurosciences à l'Université Laval, et publiée dans la revue Nature Neuroscience. La professeure Ménard a exposé de petites souris noires appelées Black 6, habituellement dociles, à de plus grosses et plus agressives souris blanches appelées CD-1. Les souris noires ont développé un « stress social » facilement observable par le comportement des animaux. La chercheuse a ensuite montré que ce stress pouvait modifier leur cerveau. Chez plusieurs souris stressées, la barrière hématoencéphalique, cette muraille de Chine qui protège le cerveau en bloquant plusieurs substances qui circulent dans le sang, est devenue poreuse. Elle a laissé passer des molécules appelées IL-6 qui ont entraîné des symptômes de dépression chez les animaux. « Le stress social chronique engendré par l'intimidation et la discrimination a un impact physiologique sur le cerveau, résume Guylaine Archambault, directrice générale du musée Armand-Frappier. C'est un argument de plus pour qu'on fasse preuve de bienveillance les uns envers les autres. »