Deux des expériences les plus étendues menées à ce jour dans la nature, en Europe et au Canada, ont confirmé la nocivité des insecticides agricoles néonicotinoïdes pour les abeilles et autres pollinisateurs qui y sont exposés.

Les résultats de ces études, publiées jeudi dans la revue américaine Science, révèlent aussi que l'environnement local et l'état de santé des ruches peuvent moduler les effets des néonicotinoïdes, dits pesticides «tueurs d'abeilles» et largement utilisés dans l'agriculture.

Mais ces substances chimiques, qui agissent sur le système nerveux des insectes, ont dans l'ensemble «des effets nettement délétères» sur ces pollinisateurs essentiels à de nombreuses récoltes, dont une nette réduction de leur taux de reproduction et une forte augmentation de leur mortalité, concluent ces travaux financés en partie par le secteur, avec les groupes allemand Bayer et suisse Syngenta.

Après ces études, «on ne peut plus continuer à affirmer  que les néonicotinoïdes dans l'agriculture ne sont pas nuisibles aux abeilles», a réagi David Goulson, professeur de biologie à l'université britannique de Sussex qui n'a pas participé aux travaux.

La première expérience, conduite sur un total de 3000 hectares au Royaume-Uni, en Allemagne et en Hongrie, a exposé trois espèces d'abeilles à des récoltes de colza d'hiver dont les semences avaient été traitées avec de la clothianidine de Bayer Crop Science, ou avec du thiaméthoxame de Syngenta.

Il s'agit de deux des trois néonicotinoïdes interdits temporairement dans l'Union européenne en 2013 en raison des craintes de leurs effets sur la santé des abeilles. Un nouveau projet législatif prévoit de les bannir complètement dans les champs mais pas dans les serres.

Or, les chercheurs ont constaté qu'une exposition à ces récoltes réduisait le taux de survie des ruches durant l'hiver, dans deux de ces trois pays.

Impact plus faible en Allemagne 

En Hongrie, la population des ruches a diminué de 24% au printemps suivant. Au Royaume-Uni, le taux de survie a été généralement faible mais au plus bas dans les ruches où les abeilles avaient été en contact avec du colza traité avec de la clothianidine.

En revanche, moins d'effets néfastes ont été observés chez les abeilles en Allemagne.

«Les néonicotinoïdes, objets de cette étude, ont réduit la capacité des trois espèces d'abeilles à se reproduire et à établir de nouvelles populations l'année suivante, tout au moins au Royaume-Uni et en Hongrie», précise Ben Woodcock, un entomologiste du Centre britannique pour l'écologie et l'hydrologie (CEH), principal auteur de cette étude.

Selon lui, les différences d'impact de ces insecticides sur la viabilité des ruches entre les trois pays pourraient s'expliquer par l'accès plus ou moins grand à d'autres plantes que le colza traité ainsi qu'à l'état de santé des colonies.

Ainsi en Allemagne, les ruche avaient des populations plus grandes et en bonne santé, avec un accès à un large éventail de fleurs sauvages pour butiner.

Mais dans les trois pays, le plus faible taux de reproduction a été lié à des niveaux plus élevés de résidus de néonicotinoïdes dans les nids, pointent les auteurs.

Propagation 

La seconde expérience menée au Canada a montré que les abeilles ouvrières et les reines dans les ruches en contact avec des néonicotinoïdes mouraient plus tôt et que la santé des colonies était affaiblie.

Les abeilles exposées à du pollen traité avec ces insecticides pendant les neuf premiers jours de leur vie voyaient leur espérance de vie réduite de 23%.

De plus, les colonies étaient incapables de maintenir de bonnes conditions pour permettre à la reine de pondre.

Les chercheurs ont étudié onze ruches. Cinq étaient proches d'un champ de maïs dont les semences avaient été traitées avec des néonicotinoïde. Les six autres ruches étaient loin des cultures agricoles.

Toutes ces colonies ont été minutieusement examinées pour détecter la présence de pesticides entre début mai et septembre.

«La question sur la véritable exposition des abeilles aux insecticides est controversée et suscite un débat depuis longtemps», note Amro Zayed, biologiste à l'université de York et principal auteur de cette étude.

Les scientifiques ont également été surpris de trouver dans les ruches du pollen contenant du néonicotinoïde qui ne provenait pas du maïs ou soja traités mais de plantes situées à proximité.

«Cela indique que les néonicotinoïdes qui se dissolvent dans l'eau se propagent dans l'environnement», souligne Nadia Tsvetkov, une chercheuse de l'université de York.