Notre journaliste a passé un an à l'Université Harvard grâce à une bourse de la fondation Nieman. Toutes les semaines jusqu'au 23 août, elle nous présente un chercheur aux idées novatrices. Cette semaine, un médecin d'exception qui veut sauver le cerveau des plus petits d'entre nous en nous mettant à contribution.

Sur le bureau du pédiatre Jack Shonkoff trône un petit Sisyphe poussant son rocher. «La plupart des gens pensent que notre travail ressemble à ça. Qu'il est impossible de briser le cercle de la violence d'une génération à l'autre et d'aider les enfants qui ont été exposés à la violence à s'en remettre.»

Le directeur du Centre du développement de l'enfant de l'Université Harvard est beaucoup moins fataliste. Oui, l'expert connaît mieux que quiconque l'effet dévastateur que peut avoir sur le cerveau d'un jeune enfant une longue exposition au stress et à la pauvreté. Devenu toxique, ce stress, qui peut découler de la faim, de l'incertitude ou de la violence, peut hypothéquer lourdement l'architecture du cerveau ainsi que la santé physique à l'âge adulte.

«La bonne nouvelle, c'est que ce n'est pas irréversible, affirme Jack Shonkoff, en se basant sur des recherches en biologie, en neurologie, en génétique et en pédiatrie. Les gènes qui influencent l'apprentissage et la santé sont modifiés par l'expérience de vie dans les premières années.» Une mauvaise expérience fait du dommage; une bonne répare.

C'est sur la base de ces recherches que nombre de projets d'intervention précoce destinés aux enfants issus de familles défavorisées ont été établis, dont les centres de la petite enfance (CPE) du Québec.

Passer à la prochaine vitesse

Aussi louables que soient ces programmes qui sont devenus la panacée depuis 50 ans, ils ne suffisent pas à la tâche, prévient cependant Jack Shonkoff.

Des découvertes plus récentes de l'équipe du pédiatre démontrent en effet qu'il manque dans l'équation un facteur déterminant: les parents. «Si on veut avoir un impact sur les enfants qui font face à l'adversité, la meilleure chose que nous puissions faire est de renforcer les capacités des adultes qui s'occupent d'eux. Ces derniers doivent à la fois les protéger du stress excessif et les aider à bâtir le squelette des habiletés dont ils auront besoin pour faire face aux défis de leur vie. La résilience, ce n'est pas une chose innée, c'est quelque chose d'acquis», explique le pédiatre, qui s'intéresse à la question depuis les années 70. «Personne n'acquiert de résilience sans la présence d'un adulte engagé et fiable dans sa vie», ajoute-t-il.

Parents, à l'école!

Comment aider les parents? En les formant, répond le Dr Shonkoff. «Certaines aptitudes des parents ont un impact majeur sur les enfants, notamment la capacité à concentrer son attention sur une tâche précise, à résoudre des problèmes, à établir un plan et à le mettre en place. La capacité à maîtriser ses impulsions est aussi une habileté importante. Ce qui est intéressant, c'est que ces aptitudes sont aussi essentielles pour obtenir et garder un emploi», note le pédiatre, qui voit là la possibilité de faire d'une pierre deux coups en organisant des séances de «coaching» qui ciblent ce savoir-faire.

Selon les études du Centre de développement de l'enfant, la formation des parents pourrait doubler l'efficacité des programmes d'intervention précoce et permettre aux États qui les mettront en place d'épargner à long terme des milliards de dollars en frais d'incarcération, de programmes sociaux et de santé. Au Massachusetts, des projets-pilotes sont en cours. «Longtemps, nous avons centré tous nos efforts sur la nécessité de stimuler l'enfant, de lui parler, mais ce n'est qu'une partie de la réponse», soutient le pédiatre, qui estime que le retour des parents dans l'équation constitue la plus grande percée dans le domaine du développement de l'enfant depuis des décennies.