Des dinosaures pratiquaient déjà la transhumance voici 150 millions d'années, parcourant, comme les moutons modernes, de longues distances pour aller paître dans les hautes terres à la saison sèche, suggère une étude publiée mercredi.

Herbivores gigantesques, les dinosaures de la famille des sauropodes, comme le célèbre diplodocus, furent les plus grands vertébrés à arpenter la surface de la Terre. Mesurant dix à vingt mètres de long et vivant en troupeaux, leurs besoins en nourriture et en eau étaient à la mesure de leur masse phénoménale et ils devaient donc être particulièrement vulnérables à la sécheresse.

Comme en témoignent les nombreux fossiles découverts dans la Formation de Morrison, région aujourd'hui située dans l'Ouest américain (du Montana à l'Arizona et de l'Utah au Colorado), les sauropodes en tous genres abondaient pourtant dans des plaines alluviales qui subissaient des sécheresses périodiques au Jurassique supérieur (-156 à -144 millions d'années).

Comment des troupeaux de créatures aussi colossales pouvaient-ils donc trouver de quoi subsister dans des conditions si défavorables?

Selon des chercheurs en géologie de l'Université du Colorado, ils faisaient probablement comme nos troupeaux de moutons, gagnant de manière saisonnière les alpages voisins pour trouver de l'eau et de l'herbe fraîches.

Pour confirmer cette théorie déjà proposée par des paléontologues, Henry Fricke et son équipe ont comparé la composition chimique de l'émail des dents de certains sauropodes, des Camarasaurus, avec celle de différents sédiments (sols, lacs, zones humides, etc.) de la région et des collines proches.

Oxygène 18

Or la teneur en oxygène 18, un isotope (variante atomique) de l'oxygène, des dents d'un certain nombre de Camarasaurus montrent qu'ils ont consommé durant leur vie de l'eau provenant, non pas des plaines alluviales où on a retrouvé leurs fossiles, mais des hautes terres situées plus à l'ouest.

«Les populations de Camarasaurus de ces régions ont donc dû directement occuper des zones plus élevées durant au moins une partie de l'année, avant de retourner dans les bassins fluviaux où ils sont morts», concluent les auteurs de l'étude, publiée par la revue britannique Nature.

«Pour ce faire, ces animaux ont dû migrer sur une distance d'environ 300 km, si l'on se fonde sur les reconstructions paléogéographiques du Jurassique supérieur», expliquent-ils.

Les chercheurs ont alors poussé plus avant leur analyse, étudiant la composition interne d'une seule dent de sauropode.

Comme chez tous les vertébrés, la dent d'un dinosaure se forme par couches successives et l'analyse chimique d'une «coupe» de la dent permet de connaître les différentes concentrations d'oxygène 18 ingéré au fil du temps.

Le résultat obtenu semble indiquer que le Camarasaurus, long de 18 mètres et pesant une vingtaine de tonnes, a effectué un aller-retour entre la plaine alluviale et ses pâturages en hauteur en l'espace de cinq à six mois, ce qui plaide pour une transhumance saisonnière.

«En partant du principe que les Camarasaurus migraient pour obtenir la nourriture et l'eau nécessaires à leur survie, ils auraient quitté la plaine durant la saison sèche (vraisemblablement l'été) lorsque la végétation pousse peu et que les sécheresses peuvent être fréquentes, pour y revenir à la saison humide (probablement l'hiver)», estiment les chercheurs.

D'autres études sur les Camarasaurus et d'autres populations de sauropodes sont en cours pour déterminer si la migration était une caractéristique universelle de ces animaux et si elle a pu jouer un rôle dans leur gigantisme.