Une vie à y rêver. Dix ans d'entraînement. Et des imprévus qui ont fait planer l'incertitude jusqu'au dernier moment. C'est finalement lundi, en avance sur le calendrier initial, que David Saint-Jacques s'est envolé vers l'espace. Analyse d'une mission qui tiendra les Canadiens en haleine jusqu'en juin prochain.

LA MISSION EN 7 QUESTIONS

Qu'ira faire David Saint-Jacques dans l'espace ? Comment s'y rendra-t-il ? Avec qui partagera-t-il son quotidien ? Voici la mission en sept questions.

COMMENT GAGNERA-T-IL L'ESPACE ?

Depuis la mise au rencart des navettes spatiales américaines, en 2011, il n'existe qu'un moyen d'envoyer des humains dans l'espace : les bonnes vieilles fusées Soyouz. C'est donc dans l'un de ces engins russes qu'a pris place David Saint-Jacques lundi. Le départ s'est fait de Baïkonour, au beau milieu du désert du Kazakhstan. Impossible pour l'astronaute québécois d'y arriver en retard : il se trouve sur place depuis le 19 novembre, en quarantaine dans un hôtel afin d'éviter toute contamination par un virus. David Saint-Jacques est monté dans la minuscule capsule habitable, au sommet de la fusée. Recroquevillé contre ses coéquipiers, l'Américaine Anne McClain et le Russe Oleg Kononenko, il subira une force qui atteindra trois fois l'attraction terrestre lors du décollage. Son siège, moulé à la forme de son corps, lui permettra de mieux supporter le décollage.

COMBIEN DE TEMPS LE VOYAGE DURERA-T-IL ?

La Station spatiale internationale se trouve à moins de 400 kilomètres de la Terre : c'est inférieur à la distance séparant Montréal de La Malbaie. À bord d'une fusée filant à 8300 km/h, on pourrait croire que le voyage durera au plus quelques minutes. En réalité, il faudra soit six heures, soit deux jours à David Saint-Jacques pour atteindre sa destination. C'est que la Station spatiale internationale est une destination en mouvement qui file à 28 000 km/h autour de la Terre, et l'atteindre relève d'un ballet cosmique complexe.

La fusée Soyouz a atteint l'espace quelques minutes à peine après le décollage. David Saint-Jacques et ses coéquipiers se sont alors retrouvés en orbite autour de la Terre. Ils devront toutefois changer d'orbite plusieurs fois à des moments stratégiques pour atteindre exactement la même altitude et la même position que la Station spatiale internationale. Si tout se déroule comme prévu, l'équipage y parviendra après avoir fait quatre fois le tour de la Terre, pour un voyage total de six heures. En cas de pépin, la seule autre option est de faire 34 fois le tour de la Terre, ce qui prend deux jours complets. Si David Saint-Jacques peut espérer éviter un tel voyage, il s'agissait de la façon standard de rejoindre la Station spatiale internationale avant 2013.

POURQUOI DAVID SAINT-JACQUES PART-IL EN AVANCE ?

Le départ de l'astronaute québécois avait d'abord été fixé au 19 décembre. Mais le 11 octobre dernier, coup de théâtre : la fusée Soyouz qui devait envoyer l'équipage précédent vers la Station spatiale internationale a explosé en plein ciel. Le Russe Alexeï Ovtchinine et l'Américain Nick Hague ont réussi à revenir sur Terre sains et saufs grâce aux systèmes d'urgence, mais ils n'ont jamais atteint la Station spatiale internationale. À la suite de l'accident, l'Agence spatiale russe a annoncé qu'aucune fusée Soyouz habitée ne volerait avant qu'on ne comprenne ce qui s'est passé. On a alors cru que la mission de David Saint-Jacques serait retardée.

Le 1er novembre, les autorités russes ont cependant dévoilé que l'enquête était terminée et qu'une erreur humaine avait causé la défaillance (la mauvaise installation d'un capteur a fait en sorte que l'un des propulseurs de la fusée s'est mal détaché). Afin d'aller prêter main-forte à l'équipage actuel de la station, qui a dû prolonger sa mission faute de relève à cause de l'accident, on a finalement choisi de devancer la mission de David Saint-Jacques.

En entrevue avec La Presse, l'astronaute québécois a dit ne pas se sentir nerveux de voler alors que la fusée transportant ses prédécesseurs a explosé en plein ciel.

« Ça peut sembler surprenant, mais ce n'est pas une source d'anxiété du tout. C'est plutôt une source de focus, ça me pousse à accorder une attention supplémentaire à mes procédures et à mon entraînement », avait-il affirmé après l'accident.

Photo NASA, ARCHIVES REUTERS

QU'IRA FAIRE DAVID SAINT-JACQUES DANS L'ESPACE ?

Aller dans l'espace est une prouesse si extraordinaire qu'on oublie presque de poser la question : à quoi sert une telle aventure ?

« On est là pour faire de la recherche scientifique. Notre station, c'est un laboratoire en orbite », a déjà répondu David Saint-Jacques à La Presse.

Au cours des derniers mois, l'entraînement de l'astronaute québécois a pris un virage. Après s'être familiarisé avec les systèmes de la Station spatiale internationale et s'être exercé au pilotage de la capsule Soyouz, il a passé beaucoup de temps à apprendre les protocoles des expériences qu'il mènera dans l'espace.

« Je serai les yeux et les mains des scientifiques au sol qui ont inventé ces expériences », explique-t-il.

Son principal sujet d'expérience ne sera ni des souris, ni des solutions chimiques, ni des matériaux avancés, mais bien... lui-même. De ses os à ses muscles en passant par son coeur, ses yeux et son système de l'équilibre, David Saint-Jacques subira des contrecoups importants de son séjour en microgravité.

Le programme scientifique de l'Agence spatiale canadienne est entièrement consacré à mieux comprendre ces effets sur le corps. L'objectif est double. D'abord, préparer une éventuelle mission vers Mars. Mais surtout, gagner des connaissances qui permettront de soigner des gens ici, sur Terre.

« Les manières dont l'espace affecte la santé des astronautes sont exactement les mêmes que les maladies qui se manifestent chez monsieur et madame Tout-le-Monde. Sauf qu'en orbite, ça se manifeste de façon très rapide, chez des individus par ailleurs en parfaite santé, et dans un environnement très contrôlé. Pour les scientifiques, c'est un laboratoire parfait pour faire des expériences médicales », explique David Saint-Jacques.

DAVID SAINT-JACQUES FERA-T-IL UNE SORTIE SPATIALE ?

Une telle sortie n'était pas prévue dans l'horaire initial, même si les astronautes doivent toujours être prêts à revêtir leur combinaison spatiale et à sortir dans l'espace pour réparer la station en cas de problème. Mais le vol avorté du 11 octobre fait en sorte qu'il n'y aura bientôt que trois astronautes à bord de la Station spatiale internationale, contre cinq ou six habituellement. Selon l'Agence spatiale canadienne, cette situation augmente les probabilités que l'astronaute québécois soit amené à sortir dans l'espace. Le principal intéressé, en tout cas, ne s'en plaindrait pas. Lorsqu'on lui avait demandé, lors d'une conférence de presse, ce qu'il souhaitait accomplir pendant son séjour, il avait immédiatement répondu une sortie spatiale. « C'est peut-être la chose la plus typique du métier d'astronaute et je pense qu'on en rêve tous », avait-il dit.

L'ASTRONAUTE QUÉBÉCOIS JOUERA-T-IL DE LA GUITARE COMME CHRIS HADFIELD ?

Non... mais une flûte traditionnelle japonaise l'attend déjà dans la Station spatiale internationale. David Saint-Jacques a appris à jouer de cet instrument directement d'un maître japonais pendant qu'il faisait son postdoctorat à Tokyo.

Photo EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, archives La Presse

QUI SONT LES COMPAGNONS DE VOL DE DAVID SAINT-JACQUES ?

David Saint-Jacques a passé tellement d'heures d'entraînement avec eux qu'il les décrit comme sa « soeur » et son « frère ». Les voici.

ANNE McCLAIN

NATIONALITÉ : Américaine

ÂGE : 39 ans

Études en génie mécanique, en génie aérospatial et en relations internationales

Major dans l'armée américaine

Mariée et mère d'un garçon

L'expédition 58 est sa première mission.

Cette pilote d'hélicoptère de combat de l'armée américaine a fait la guerre en Irak et a joué au sein de l'équipe nationale féminine américaine de rugby.

« Il peut y avoir de l'excitation et de la nervosité, répond-elle lorsqu'on lui demande si elle a hâte d'aller dans l'espace. Mais j'ai appris, en pilotant des hélicoptères dans l'armée, qu'aucune de ces émotions n'est utile. J'essaie de garder la tête entre les deux et de me concentrer pour me préparer le mieux possible. »

OLEG KONONENKO

NATIONALITÉ : Russe

ÂGE : 54 ans

Études en génie mécanique

Marié et père d'un garçon et d'une fille

L'expédition 58 est sa quatrième mission.

Peu bavard et à son affaire, l'homme de 54 ans est le commandant du vaisseau Soyouz qui amènera les astronautes à la Station spatiale internationale et les ramènera sur Terre. Originaire du Turkménistan, il dégage un calme tranquille.

« En tant que commandant, l'un de mes rôles les plus importants est de créer un environnement agréable et propice au travail pour tous les membres d'équipage », explique-t-il.

En arrivant dans la Station spatiale internationale, l'astronaute québécois et ses deux comparses seront accueillis par le Russe Sergey Prokopyev, l'Américaine Serena Auñón-Chancellor et l'Allemand Alexander Gerst. Ceux-ci partiront deux semaines après leur arrivée.

« NOTRE PREMIÈRE MAISON QUI N'EST PAS SUR TERRE »

« La Station spatiale internationale, c'est notre première maison qui n'est pas sur Terre », dit David Saint-Jacques. Coup d'oeil sur cette maison-laboratoire dans laquelle vivra le Québécois pendant plus de six mois.

SEGMENT AMÉRICAIN

Le segment américain compte 11 modules, dont 8 sont habitables. C'est là que David Saint-Jacques passera la majorité de son temps. On y trouve notamment les laboratoires Destiny (américain), Columbus (européen) et Kibo (japonais).

COUPOLE

Le module Cupola est une coupole panoramique qui permet aux astronautes de contempler la Terre. C'est de là qu'on a vu l'astronaute canadien Chris Hadfield jouer de la guitare, par exemple. Il est situé dans le segment américain.

BRAS CANADIEN

Canadarm 2, la deuxième version du fameux bras canadien, est utilisé pour l'assemblage et la maintenance de la Station spatiale internationale. C'est aussi avec lui que les astronautes attrapent les précieux vaisseaux-cargos qui ravitaillent la station.

SEGMENT RUSSE

Le segment russe comprend une demi-douzaine de modules construits et manoeuvrés par Roscosmos, l'agence spatiale russe. On y trouve notamment le port d'attache qui permet d'amarrer les capsules Soyouz qui atteignent la station.

PANNEAUX SOLAIRES

Les panneaux solaires fournissent la totalité de l'électricité de la Station spatiale internationale. Selon la NASA, ils peuvent générer entre 84 et 120 kilowatts de puissance, assez pour alimenter environ 40 maisons. Lorsque les panneaux sont exposés à la lumière du Soleil, une partie de l'électricité est stockée dans des batteries afin de pouvoir alimenter la station lorsque celle-ci se trouve dans l'ombre de la Terre.

Photo archives Agence France-Presse

Anne McClain, Oleg Kononenko et David Saint-Jacques