«Atterrissage! Voici ma nouvelle adresse» : pour susciter l'intérêt du public, la très sérieuse Agence spatiale européenne (ESA), se faisant habile conteuse, a doté de la parole ses deux aventuriers de l'espace, Rosetta et Philae, transformant leur périple scientifique en saga interplanétaire.

«Salut, le monde!»: c'est par ce tweet que la sonde européenne (@ESA-Rosetta) a fait en janvier ses premiers pas en tant que personnalité «à suivre» sur les réseaux sociaux. La «belle endormie», selon les propres termes utilisés par l'ESA, venait juste de sortir de son hibernation, reprenant contact avec la Terre, après 31 mois de sommeil.

L'histoire était lancée, le ton était donné : l'année 2014 serait l'année Rosetta, riche en rebondissements et en émotion.

C'est qu'on se prendrait presque d'affection pour ces deux héros de l'espace, Rosetta, le vaisseau mère, et Philae, son petit robot, parti vaillamment à la conquête d'un territoire totalement inexploré, la surface du noyau d'une comète.

«Ce sont des machines, mais imprégnées d'intelligence humaine, de ce qu'il y a de plus pointu, de savant et d'audacieux chez l'homme», analyse pour l'AFP l'astronaute français Jean-François Clervoy.

Du fait de la distance qui sépare leur terrain d'action de la Terre, ces engins spatiaux accèdent aussi à une sorte d'«autonomie», qui fait que la personnification fonctionne.

L'ESA a su en jouer.

«Rosetta marque une transition» dans la stratégie de l'Agence spatiale européenne, «avec la volonté de faire participer le public», expliquait récemment Fernando Doblas, chef du Département de la Communication de l'ESA.

«On vit dans un monde où les gens ne veulent plus recevoir l'information passivement. Il faut être acteur de l'information», soulignait-il. L'ESA a «bien compris l'importance des réseaux sociaux».

Depuis janvier, l'agence a su maintenir l'attention du public en organisant des concours ou en partageant des tweets amusants, mais aussi en lui permettant d'accéder à des images inédites et en vulgarisant l'information scientifique.

«zzzzz»

La semaine dernière, au plus fort de l'intrigue, quand la sonde a largué son robot pour qu'il aille se poser sur la comète, Rosetta et Philae ont généré environ 600 000 tweets, selon les statistiques du site Topsy.

Les deux héros ont d'ailleurs à eux deux plus d'abonnés sur Twitter - respectivement 383 000 et 277 000 - que @Madonna.

En France, les hashtags les plus utilisés mercredi concernaient l'atterrissage de Philae.

Philae (@Philae2014) a même tweeté en 14 langues pour confirmer la nouvelle: «Atterrissage ! Voici ma nouvelle adresse: 67P».

Tout au long de la journée, les communicants de l'ESA ont mis en scène sur Twitter le dialogue entre Rosetta et Philae, jouant à fond la carte de la personnification, tout en garantissant au grand public un accès à l'information en temps réel.

«J'ai froid au dos depuis que tu m'as quittée, mais je suis dans une meilleure position pour te regarder. Envoie-moi une carte postale!», susurrait Rosetta après la séparation de Philae.

«Enfin! Je peux étendre mes pattes après plus de dix ans. Le train d'atterrissage est déployé!», annonçait le robot.

Après l'atterrissage, la saga a continué, l'ESA tenant en haleine les admirateurs du petit robot en narrant son endormissement, au fur et à mesure que sa pile s'épuisait.

«Je perds mon énergie assez rapidement désormais», «Tant de travail harassant. Je suis fatigué»... jusqu'au dernier tweet qui se termine par «zzzzz».

L'événement a aussi suscité une couverture médiatique très importante, avec 380 médias représentés au Centre européen d'opérations spatiales (ESOC) à Darmstadt (Allemagne) le jour J. Et les caméras du monde entier ont retransmis les larmes de joie de Andrea Accomazo, directeur de vol de Rosetta.

«L'ESA commence à compter, à être connue et l'ESA doit être fière parce que les projets européens n'ont rien à envier aux grandes missions américaines», note Jean-François Clervoy.

Interrogé sur l'impact que pourrait avoir le succès du couple Rosetta/Philae sur la conférence ministérielle de l'ESA le 2 décembre à Luxembourg, décisive pour l'avenir de l'Europe spatiale, l'astronaute répond : «Je ne suis pas un spécialiste de géopolitique spatiale, mais ce qui est certain, c'est que ça va contribuer au bon état d'esprit des participants».