Coup d'éclat politique ou apprentissage technologique? La Chine a propulsé trois nouveaux taïkonautes dans l'espace, hier, signant une nouvelle étape d'un programme spatial qui fait beaucoup jaser. Explications.

Les événements

Hier à 17h38, heure de Pékin, trois taïkonautes se sont envolés dans un nuage de fumée à partir d'une base du désert de Gobi. Nie Haisheng, Zhang Xiaoguang et Wang Yaping - la deuxième femme chinoise à atteindre l'espace - flottent actuellement en orbite à environ 350 km de la Terre. Les taïkonautes iront s'amarrer à la station spatiale chinoise Tiangong-1. Même si son nom signifie «palais céleste», ce laboratoire flottant est encore rudimentaire comparativement à la Station spatiale internationale, elle-même loin de l'hôtel cinq étoiles. Les astronautes y séjourneront moins de deux semaines avant de revenir sur Terre.

Lentement mais sûrement

Shenzhou-10 est la cinquième mission habitée lancée par la Chine, et la plus longue de son histoire. Mais elle ne signe aucune première pour autant. «Les Chinois suivent les traces que les Russes et les Américains ont faites avant eux, explique Sylvain Bélair, directeur général du Cosmodôme de Laval. Il n'y a pas de percée technologique dans cette mission. Mais on voit les Chinois, lentement mais sûrement, prendre leur place dans l'espace.» Comme les Soviétiques avec les stations Salyut et Mir et les Américains avec Skylab, les Chinois apprivoisent aujourd'hui les technologies permettant d'amarrer un vaisseau à une station spatiale. Sans être inédite, la prouesse n'est pas banale non plus. La Chine est le troisième pays à pouvoir se vanter d'avoir envoyé des hommes dans l'espace sans l'aide d'autres nations.



Faire cavalier seul

Pendant que la Station spatiale internationale se construit en collaboration avec plusieurs partenaires (Russie, États-Unis, Union européenne, Canada et Japon), la Chine fait ses affaires de façon indépendante dans l'espace. «La Chine a la particularité de développer toute la palette des technologies nécessaires à l'exploration spatiale, remarque Jean-Marc Carpentier, vulgarisateur scientifique qui s'intéresse à l'espace. Elle veut être autonome et indépendante et contrôler ses outils.» L'Agence spatiale européenne a affirmé à la BBC vouloir collaborer avec la Chine, mais ces rapprochements demeurent timides. Hier, l'Agence spatiale canadienne a affirmé qu'elle n'a pas de plan similaire. Sylvain Bélair, du Cosmodôme de Laval, voit du bon dans cet esprit de compétition affiché par la Chine. «C'est dommage à dire, mais la collaboration a ralenti les développements dans le domaine spatial, dit-il. C'est quand la compétition s'installe que les budgets supplémentaires sont octroyés et les projets lancés.»

Quelles motivations? 

La question des motivations de la Chine dans l'espace divise les spécialistes. Yves Gingras, historien et sociologue des sciences à l'Université du Québec à Montréal, ne voit aucun intérêt scientifique à repasser dans les sentiers tracés par la Russie et les États-Unis. «Le seul objectif est politique, dit-il. En allant dans l'espace, la Chine veut démontrer sa puissance.»

Jean-Marc Carpentier n'est pas d'accord. «La question de prestige existe peut-être, mais pour la consommation interne, pour la fierté nationale, croit-il. Sinon, on n'est pas à l'étape du flafla. La Chine veut maîtriser les technologies spatiales pour des raisons économiques - détection par satellite, télécommunications - et pour les applications militaires.» Selon lui, les Chinois progressent de façon prudente dans l'espace et se sont dotés d'un programme spatial «logique, raisonnable et axé sur les résultats».

Photo Andy Wong, AP

Les astronautes chinois séjourneront moins de deux semaines à la station spatiale rudimentaire Tangong-1 avant de revenir sur Terre.