C'était une mission exceptionnelle qui visait pourtant à marquer une ère routinière: celle où les civils prendraient la navette comme ils prennent l'avion. Mais le 28 janvier 1986, il y a 25 ans aujourd'hui, le rêve de la balade extraterrestre s'est interrompu. Pour la première fois, les Américains ont perdu des astronautes dans l'espace.

«Oh oh.»

Dans la (courte) transcription des conversations enregistrées à bord de la navette Challenger, le 28 janvier 1986, l'exclamation du pilote Michael J. Smith, 73 secondes après le lancement, est le dernier commentaire de la liste. L'instant d'après, la navette Challenger, flanquée de ses deux propulseurs, s'enflammait avant de se désintégrer dans une énorme boule blanche, des débris zébrant le ciel bleu avant de retomber dans la mer.

À bord de la navette, sept astronautes, soit cinq hommes et deux femmes. Parmi ces deux femmes, Christa McAuliffe, une astronaute pas comme les autres (ci-dessous).

Au sol, dans les locaux du centre de contrôle de mission de Houston, parmi les spectateurs dans les gradins ou dans les écoles rivées sur leurs écrans de télévision, c'est l'incrédulité. Il faudra plusieurs secondes avant de réaliser ce qui se passe. Jamais encore les Américains n'avaient perdu d'astronaute en vol le seul autre accident mortel, la mort des trois astronautes d'Apollo 1, était survenu lors d'un entraînement au sol.

Après de longues secondes de silence, le porte-parole de la NASA a eu un commentaire laconique devenu tristement célèbre: «De toute évidence, il s'agit d'un dysfonctionnement majeur.» Après une pause, il confirme d'un ton neutre que la navette «a explosé».

Une navette comme un avion

L'histoire de la conquête spatiale est jalonnée de premières. En 1981, les navettes spatiales avaient remplacé les fusées du programme Apollo. Pour la première fois, les astronautes disposaient d'un véritable véhicule spatial, capables de s'envoler et d'atterrir comme un avion, avant de recommencer pour une autre mission.

«Je me souviens d'avoir lu, vers la fin des années 70 ou au début des années 80, qu'on prévoyait faire plusieurs lancements par mois, voire un par semaine», se rappelle Robert Lamontagne, professeur à l'Université de Montréal.

Les navettes devaient notamment servir à lancer les satellites commerciaux comme à faire de la recherche scientifique, et moins à faire de l'exploration comme les missions Apollo, qui s'étaient rendues sur la Lune. Mais en 30 ans, les navettes auront fait 135 missions, soit une moyenne de... 4,5 par année.

Aller dans l'espace ne sera jamais une balade. L'enquête a montré que le froid qu'il avait fait en Floride la nuit précédent le lancement de Challenger avait endommagé le joint de l'un des propulseurs. Le feu s'est propagé rapidement au réservoir d'hydrogène de la navette, provoquant une désintégration dans un nuage de vapeur et de gaz qui s'apparentait à une explosion. L'enquête a également mis en lumière des dysfonctionnements dans la chaîne de commandement de la NASA et de ses sous-traitants; des ingénieurs avaient tenté d'attirer l'attention sur les effets du froid sur les composantes de l'engin spatial.

Après l'explosion des propulseurs et la désintégration de la navette, l'habitacle, peu endommagé mais dépressurisé, est retombé dans la mer. Des bateaux ont récupéré les corps. Des bouteilles d'oxygène de secours avaient été activées manuellement, ce qui laisse supposer que les astronautes avaient au moins survécu, sans nécessairement être conscients, à l'explosion initiale de la navette.

Dans le ciel, aujourd'hui, sept astéroïdes portent désormais leurs noms.