Guy Laliberté commence à avoir des «papillons dans le ventre», moins d'un mois avant son odyssée dans l'espace. Le fondateur du Cirque du Soleil a accueilli La Presse cette semaine dans son modeste appartement de la Cité des étoiles, à 30 km de Moscou, où il s'entraîne depuis cinq mois. Il a expliqué en quoi accomplir son rêve d'enfance serait rentable à son avis non seulement pour lui, mais aussi pour l'avenir de la planète.

«Veux-tu de l'eau?» Lorsque l'homme de 2,5 milliards (selon Forbes) verse un verre du précieux liquide à son assistante et au représentant de La Presse à son arrivée, il ne relève pas sa propre allusion à la cause que soutient sa fondation One Drop.

 

Le deux-pièces qu'il habite le temps de son entraînement est exigu et bordélique. Plus à l'image de l'artiste qu'à celle de l'homme d'affaires.

Sur les murs sont fixées une photo de famille, une affiche de la bande dessinée Tintin: Objectif Lune et une parodie d'un film soviétique dans laquelle les personnages principaux ont été remplacés par Guy Laliberté et ses coéquipiers, l'astronaute américain Jeffrey Williams et le cosmonaute russe Maksim Souraïev.

«RosCosmos donne son approbation!» peut-on y lire en russe, en référence au feu vert donné aux trois hommes par l'agence spatiale russe pour aller dans l'espace, après d'interminables tests médicaux.

Depuis qu'il réside à la Cité des étoiles, Guy Laliberté ne dort «pas plus de quatre à cinq heures» par nuit. «Si j'avais seulement eu à focaliser sur [l'entraînement], ç'aurait été pas mal plus «relax»», lance le coloré nouveau cinquantenaire (depuis mercredi), vêtu d'un t-shirt montrant un chimpanzé en combinaison spatiale, cigarette au bec.

Les trois ordinateurs étalés sur la table et les piles de livres et de documents du parfait petit cosmonaute sur l'étagère font foi d'un emploi du temps chargé.

C'est qu'en plus de l'entraînement, de la gestion de son entreprise et de sa fondation, de ses discussions sur Skype avec ses proches, Guy Laliberté doit encore finir de fignoler cette «mission sociale et poétique» annoncée en grande pompe mercredi.

Lorsqu'il a donné les premiers indices de son projet le 4 juin dernier, la mission en était encore à un stade plus qu'embryonnaire, reconnaît-il aujourd'hui en riant. «Tout ce que j'ai dit, c'est que j'allais apporter un poème en haut et que j'allais trouver un moyen de le diffuser. Ça m'a forcé à me faire aller les méninges et à monter le projet.» L'artiste avait poussé l'homme d'affaires à se compromettre.

Un «investissement»

Car les deux facettes de Guy Laliberté ne sont jamais loin l'une de l'autre. La mission poétique sera rentable, prédit-il. Ce sera un «coup de marketing philanthropique pour positionner One Drop à l'échelle internationale».

Le projet n'est donc pas seulement une folie de milliardaire, mais un «investissement» qui profitera non seulement à sa fondation, mais aussi indirectement au Cirque du Soleil.

Au début, l'association d'une entreprise à but lucratif au projet a d'ailleurs soulevé quelques réticences chez les agences russe et américaine. Guy Laliberté a donc dû les convaincre. Il avait besoin de leur approbation, de leur équipement et soutien technique pour créer son spectacle spatioterrestre.

«Ce sont des scientifiques. Ils ont le même souci que moi par rapport à l'eau. Notre point commun, c'est la cause de l'eau, pas la fondation ou le Cirque du Soleil. C'est comme ça que ç'a cliqué. Ils ont trouvé le côté artistique original et ils ont décidé de prendre le risque.»

Guy Laliberté se défend d'avoir voulu faire de son voyage spatial une mission sociale pour rendre plus acceptable aux yeux du public une aventure que peu de gens peuvent se payer.

«J'aurais très bien pu le vivre comme ça: dépenser mes 35 millions et plus (coût du voyage, payé à la firme américaine Space Adventures) et me satisfaire seulement moi. Mais quand j'ai regardé ce projet-là, je me suis dit qu'il y avait peut-être autre chose à faire.»

«J'ai cinq enfants, ils vont hériter de la planète que je vais leur laisser, poursuit-il. J'ai une responsabilité, je pense, de faire du mieux que je peux [pour la protéger].»

»Trip de p'tit gars»

L'impulsion de départ pour le voyage provient toutefois bel et bien d'un «trip de p'tit gars qui a toujours été rêveur, toujours été voyageur, et qui a la grande chance de vivre la vie que je vis».

«Je le fais pour moi. Et je pense que le Cirque en bénéficie, la fondation en bénéficie et la cause de l'eau peut en bénéficier.»

Le p'tit gars Laliberté entend aussi profiter de ses 12 jours dans l'espace «pour regarder un peu plus loin dans l'univers et observer la planète d'en haut».

«Tous les astronautes et cosmonautes m'ont dit qu'à un moment, tu as un regard sur la Terre, et là, ça te rentre dedans émotivement. Je suis sûr qu'il y aura ce moment de connexion avec l'univers, j'espère que j'aurai ce «buzz»-là. Ils essaient tous de l'expliquer, mais c'est très personnel à chacun. Mais la brillance dans les yeux, elle, est commune à tout le monde.»

Depuis qu'il s'est engagé dans l'aventure, Guy Laliberté assure ne jamais avoir remis en doute sa décision. «Il y a des dangers, il ne faut pas être aveugle. Soixante-dix pour cent de ma formation a consisté à me préparer en cas d'urgence. Ce n'est pas une croisière sur le Saint-Laurent», dit-il.

«Il y a de bonnes chances que j'aie les fesses serrées et les battements de coeur accélérés au décollage. Mais ça ne m'arrêtera pas.»