Sur une tablette au-dessus du foyer du salon des finissants de Regina Assumpta, la photo officielle d'astronaute de Julie Payette trône parmi les portraits des supérieures de l'institution du nord de Montréal, entre un chandelier à trois branches et deux religieuses, les soeurs Antoinette et Jeanne-d'Arc Giroux.

Dans une salle de sciences, un laminé grand format de Julie Payette voisine celui de Marie Curie dans son laboratoire. Ailleurs, dans un corridor, son portrait de boursière du CRSNG surveille les élèves depuis une vitrine. Les articles qui lui sont consacrés dans la presse sont colligés au secrétariat. Et en juin, le livre des finissantes consacrera deux pages à celle qui a donné son nom au prix annuel consacrant la meilleure élève de sciences de Regina, avec force clichés en apesanteur.

Julie Payette a laissé sa marque dans ses deux écoles secondaires, qui ne manquent pas une occasion d'inviter leur ancienne pupille à une cérémonie. Car le Mont-Saint-Louis n'est pas en reste. Dans le bureau de son professeur de chimie de secondaire V, Lucienne Morency, figurent en bonne place deux laminés de l'expo-science de 1993, où trône la photo de l'astronaute, marraine cette année-là.

Établie à Ahuntsic, la famille Payette est montréalaise depuis 12 générations. Le père, ingénieur à la CUM, et la mère, qui gère une troupe de théâtre pour enfants, ont trois enfants: deux filles et un garçon. Dès l'école primaire Louis-Collin, Julie décide qu'elle deviendra astronaute. Sa mère lui lègue très tôt un leitmotiv: «Il y a toujours place à l'amélioration.» La phrase se retrouve en exergue de son mémoire de maîtrise de l'Université de Toronto.

Son enfance ne fait pas de vagues. «On n'a pas vraiment fait de mauvais coups», confie Dominique Lapierre, une amie d'enfance qui travaille maintenant chez Desjardins. «J'étais arrivée en cours d'année et elle a été la première à me parler. On était assez proches l'une de l'autre, assez pour que Julie puisse rentrer chez nous et fouiller dans le frigo.» À la rentrée 76, par exemple, les deux copines ont proposé aux soeurs d'animer le camp d'accueil des nouvelles, plutôt que ce soit des religieuses; leur suggestion a été acceptée, évidemment.

Quand Julie a changé d'école pour le Mont-Saint-Louis, en secondaire IV, Dominique Lapierre l'a perdue de vue. «C'était devenu impossible de suivre Julie, raconte Dominique Lapierre. On faisait de la musique ensemble, mais elle a rapidement atteint un plus haut niveau.»

En secondaire II, Julie sautait régulièrement des récréations pour faire ses devoirs, se rappelle sa professeure de français, soeur Yolande Perreault. «J'avais de la misère à l'arrêter de travailler. Je lui disais: «Julie, veux-tu te reposer!» Elle me répondait que le soir, elle avait un rendez-vous de danse ou de chant et qu'elle prenait de l'avance.»

Pourtant, ses notes n'étaient pas toujours les meilleures: en secondaires I et II, elle se classe parfois dans le cinquième quintille, puis en III grimpe dans le premier quintille à tous les bulletins. «Elle se classait bien, mais ce n'était pas une étoile, assure soeur Bellavance. Pour nous, une fille de cette valeur-là aurait dû avoir dans les 95. Mais elle disait que pour sa culture, la musique, le basket, les concours oratoires au club Optimiste étaient importants. Elle recherchait une culture générale, pas être la première. En musique, par exemple, elle ne se contentait pas de lire la pièce, elle lisait la vie du compositeur pour s'en faire une meilleure idée.»

Au Mont-Saint-Louis, les expériences originales d'un professeur de physique de secondaire V, Choucri Massouh, ont marqué Julie, relatait-elle à la télévision en 1992. Poussant un chariot, il demandait à l'élève qui y prenait place de sauter; en vertu de la conservation de la quantité de mouvement, le chariot ralentissait. «Elle a fait le lien entre les principes physiques et la vie réelle», s'émerveille M. Massouh.

À 16 ans, la jeune éclectique s'est envolée vers le Royaume-Uni, pour un baccalauréat international au United World International College of the Atlantic. Ensuite, c'est le génie électrique à McGill et la maîtrise à Toronto. «Quand elle m'a demandé si elle pouvait prendre mon cours de linguistique informatique, je lui ai répondu que sa feuille de route n'était pas suffisante: elle n'était pas du département d'informatique et n'avait pas de connaissances en linguistique, confie son codirecteur de maîtrise, Graeme Hirst. Mais on ne peut pas dire ça à Julie. Elle a pris mon cours et tout simplement travaillé plus fort que tout le monde. Elle a fini son projet, une base de données musicales, un mois en retard. Je me souviens que je lui avais posé une question tellement étrange que son système avait planté, du genre «Mozart était-il un violon?». Ce n'était pas juste de ma part. Julie était très contrariée.» La maîtrise a été terminée en un an et demi.

Selon M. Hirst, il n'est pas rare que les informaticiens mélomanes s'intéressent à la reconnaissance de la syntaxe, sujet de la maîtrise de Julie Payette. «Plusieurs voient la musique comme un langage: quelques règles de linguistique sont observées, il y a de l'interaction naturelle.»

Au fil de ses études, la Montréalaise a continué ses cours de chant et de piano, se produisant à Montréal avec l'OSM, à Bâle et à Toronto. Elle connaît l'espagnol, qu'elle étudiait à Regina Assumpta, l'italien, le russe et l'allemand. «Quand je l'ai revue à la mort de sa grand-mère, voilà trois ans, elle suivait un cours de russe et disait qu'elle devait faire attention pour ne pas mélanger les différentes langues», confie soeur Anette Bellavance.

La jeune ingénieure décroche son premier emploi chez IBM, et travaille au Canada et en Suisse, puis à Bell Northern Research en 1992. Quelques mois après son entrée aux laboratoires de reconnaissance de la parole de l'île des Soeurs, l'Agence spatiale la retient pour son programme d'astronautes.

Elle a notamment fait partie d'un groupe de travail de l'OTAN sur la reconnaissance de la voix dans l'espace, le même sujet que son doctorat à McGill, abandonné faute de temps.

«L'une de mes tâches (en mai) sera d'installer des silencieux sur les ventilateurs à l'intérieur de Zarya, relevait en janvier l'astronaute, en entrevue à l'Agence spatiale à Saint-Hubert. Le module russe est pour le moment trop bruyant pour les études de reconnaissance de la parole.

Encore aujourd'hui, les machines fascinent Julie Payette.

Une forme d'acier

Pilote d'avion de chasse, plongeuse, parachutiste et passionnée du triathlon: Julie Payette a la forme physique de Superwoman. Dès le secondaire, le sport rejoint la musique et la lecture parmi ses marottes. «Sa garde-robe était différente, c'était celle d'une athlète: pas de petites jupettes, mais des T-shirts, des shorts, des pantalons sport, se souvient son amie d'enfance Dominique Lapierre. Elle avait toujours un sac de sport, était toujours entre deux entraînements.»

Le sport a d'ailleurs joué un rôle dans le passage au Mont-Saint-Louis, selon soeur Anette Bellavance, de Regina Assumpta. «Son entraîneur de Regina lui interdisait de faire à la fois partie de l'équipe élite de l'école et de celle de Laval», dit-elle. Selon un directeur du Mont-Saint-Louis, Michel Trudeau, Julie voulait surtout avoir des cours de sciences plus forts.

Sa détermination a frappé l'entraîneuse de handball du Mont-Saint-Louis, Nicole Léger. «On jouait toujours un tour aux nouvelles de l'équipe. Pendant la nuit, on attachait les lacets de leurs souliers. C'était impossible à défaire. Ensuite, on leur vendait des lacets orange, très laids. L'entraîneur était très strict, il voulait que le déjeuner se prenne à l'heure. Julie n'a jamais voulu acheter nos lacets. Elle a préféré se faire engueuler par Claude, l'entraîneur, avec qui on s'était arrangées.»

Ailier et pivot dans l'équipe, la jeune athlète n'avait pas froid aux yeux et allait parfois au bout de ses limites. «Pendant un camp d'entraînement à Vaudreuil, elle voulait tellement être choisie pour l'équipe qu'elle est partie à fond dans les dunes de sable. Les anciennes disaient: «Julie, tu vas débouler, tu vas pleurer, vomir.» Effectivement, elle s'est rendue malade.»

Quelques années plus tard, au cours d'un vol parabolique de simulation de microgravité, où elle testait une souris tactile avec la boîte montréalaise Haptic Technologies, sa résistance a impressionné l'informaticien Christophe Ramstein. «Pendant deux heures, l'avion grimpe, puis redescend, explique-t-il dans son bureau du boulevard Saint-Laurent. Pendant 20 secondes, on est en apesanteur, mais en bas de la courbe, on a deux fois la gravité terrestre. C'est assez éprouvant: parmi les gens qui font la vingtaine d'expériences, la moitié sont malades. J'avais pris des médicaments contre le mal de l'air et on m'a suggéré de ne pas tourner la tête au bas de la courbe. Je n'ai pas été malade. Julie, elle n'avait rien pris et elle se promenait partout; elle n'a pas eu l'air incommodée.»