À moins d'intempéries, Julie Payette décollera ce matin pour sa deuxième mission à bord de la navette spatiale. À bord d'Endeavour, elle passera 16 jours en orbite et sera responsable de près de la moitié des dizaines de manipulations des bras robotiques. Ce sera aussi la première fois que deux Canadiens sont en même temps dans l'espace: Robert Thirsk vient de décoller de Baïkonour à bord d'une capsule Soyouz pour un séjour de six mois dans la Station spatiale. Portrait de la première astronaute québécoise.

Le mari de Julie Payette, Billie Flynn, n'était pas à Cap Canaveral quand sa femme est partie pour la première fois en orbite, en 1999. Il n'a même pas regardé le décollage à la télévision. Quand les moteurs de la navette Discovery

se sont allumés, le commandant Flynn se trouvait au-dessus du Kosovo, en mission de bombardement.

«Dès que je suis revenu à la base d'Aviano, en Italie, j'ai demandé comment le lancement de la navette s'était passé», dit le commandant Flynn, joint à Cap Canaveral, où il accompagne sa femme avec leurs deux enfants de 5 et 15 ans, Laurier et Brett. «J'étais aussi en mission de bombardement lors de son retour. Alors, c'est la première fois que je vais la voir partir et revenir. » Aujourd'hui pilote d'essai pour Lockheed Martin, notamment chargé des tests des prochains bombardiers furtifs, il commandait alors l'escadron canadien participant à l'opération de l'OTAN au Kosovo.

Cette anecdote illustre bien l'itinéraire hors du commun de Julie Payette. Sa mère lui a légué très tôt un leitmotiv : «Il y a toujours place à l'amélioration.» La phrase se retrouve en exergue de son mémoire de maîtrise de l'Université de Toronto.

Enfance à Ahuntsic

Établie à Ahuntsic, la famille Payette est montréalaise depuis 12 générations. Le père, ingénieur à la CUM, et la mère, qui gère une troupe de théâtre pour enfants, ont trois enfants: deux filles et un garçon. Dès l'école primaire Louis-Collin, Julie décide qu'elle deviendra astronaute.

Dès le début du secondaire, à Regina Assumpta, Julie saute régulièrement des récréations pour faire ses devoirs, afin d'avoir assez de temps pour ses cours parascolaires de danse et de chant. À la fin du secondaire, au collège Mont-Saint-Louis, elle se rend malade lors du camp d'entraînement de l'équipe de hand-ball, en courant à fond de train dans des dunes près de Vaudreuil - elle est choisie.

Pourtant, ses notes ne sont pas toujours les meilleures : en première et deuxième secondaire, elle se classe parfois dans le cinquième quintile, puis, en troisième secondaire, grimpe dans le premier quintile à tous les bulletins. À 16 ans, elle s'envole vers le Royaume-Uni, pour un baccalauréat international au United World International College of the Atlantic.

Fascinée par l'espace

Julie Payette rêve à l'espace depuis longtemps: sur la porte de sa chambre d'enfant, elle affiche Neil Armstrong plutôt que les Beatles ou David Bowie. Née en 1963, elle est marquée par Apollo. «Depuis que je suis toute petite, c'était clair que Julie était fascinée par l'espace», confie, avec l'accent soigné caractéristique de l'astronaute, sa soeur Maude Payette, comédienne et de cinq ans sa cadette, jointe à Cap Canaveral. «Je me souviens d'être allée avec Julie, mon frère et des cousins américains voir Star Wars au cinéma aux États-Unis.»

Quelques années plus tard, au cours d'un vol parabolique de simulation de microgravité, où elle teste une souris tactile avec la boîte montréalaise Haptic Technologies, sa résistance impressionne l'informaticien Christophe Ramstein.

Néanmoins, en 1992, un ami doit insister pour qu'elle postule à l'Agence spatiale canadienne, raconte Julie Payette dans un livre publié pour intéresser les filles à la science: son emploi à Bell Northern Research, qu'elle occupe depuis quelques mois, l'enthousiasme. Il faut dire qu'elle n'a pas toujours eu la partie facile. Pendant une entrevue pour un collège huppé d'Angleterre, en 1980, le recruteur lui a suggéré de se faire hôtesse de l'air parce qu'il n'y avait pas de femmes pilotes ni astronautes.

Les deux enfants de Julie Payette ne souffriront peut-être pas des affres des atypiques extrêmement doués. «L'espace, les avions, ils connaissent ça depuis qu'ils sont petits, dit Billie Flynn. Ça ne les intéresse pas. Ils aiment les choses normales de leur âge.» Laurier et Brett passeront les deux prochaines semaines à Houston avec leurs grands-parents, et surveilleront les passages de la Station spatiale dans le ciel pour voir où se trouve leur maman.