Désignée «année internationale de l'astronomie» par les Nations unies et l'UNESCO, 2009 marque les 400 ans des premières observations avec une lunette. À cette occasion, La Presse vous propose une visite du télescope Canada-France-Hawaii, qui fête également ses 30 ans d'existence cette année.

Pendant un instant, on ne reconnaît plus la Grande Ourse.

Ici, au sud du tropique du Cancer, la céleste casserole est si bas sur l'horizon qu'on a l'impression qu'une main invisible a saisi sa poignée pour puiser une louchée d'océan.

 

À l'ouest, Vénus brille dans les lambeaux rouges du soleil couchant. Lorsque la nuit est totalement tombée, les étoiles sont étincelantes comme des pointes d'aiguilles chauffées à blanc. La Voie lactée est toute proche. On dirait un nuage s'étirant au-dessus de nos têtes.

Il fait froid. Un froid vif et piquant. La nuit s'annonce magnifique et silencieuse.

En quelques minutes, l'ivresse nous saisit. Car au sommet du Mauna Kea, point culminant des îles Hawaii, à 4204 mètres d'altitude, il y a un tiers moins d'air qu'au niveau de la mer. D'une personne à l'autre, les symptômes qui en résultent varient: nausée, saignements, fatigue... ou douce ébriété.

«Je ne viens qu'aux deux ou trois mois. C'est trop haut, ici. On a moins de réflexes», dit Daniel Devost, astronome en résidence et directeur des opérations scientifiques du télescope Canada-France-Hawaii (CFH), qui célèbre ses 30 ans d'existence en 2009. Un anniversaire qui coïncide avec les premières observations faites par Galilée et Thomas Harriot en 1609, il y a 400 ans.

Doté d'un miroir de 3,6 mètres de diamètre, le CFH n'est pas le seul télescope au sommet du Mauna Kea, un volcan éteint considéré comme un lieu sacré par les autochtones. Douze observatoires, dont les plus puissants sont dotés de miroirs de 10 mètres, se voisinent sur un plateau rocailleux au-dessus des nuages.

La pureté du ciel et les conditions atmosphériques classent le sommet de cette montagne parmi les trois meilleurs endroits au monde pour l'observation astronomique. Des découvertes majeures ont été faites ou validées ici. Ainsi, c'est à l'aide des télescopes Keck et Gemini Nord, voisins du CFH, qu'une équipe de scientifiques, dont des Québécois, a réalisé la première observation directe de planètes extrasolaires, en 2008.

Une présence nécessaire

En fait, tous les grands télescopes de la planète revendiquent des découvertes et permettent aux astronomes de vérifier leurs hypothèses pour mieux comprendre la genèse de l'univers. Le champ de travail est si vaste et la communauté qui l'étudie, si petite...

Mais quiconque a une vision «romantique» de l'astronomie contemporaine, celle d'un sage barbu collant son oeil sur une petite lunette, se met un télescope dans l'oeil. De nos jours, le travail est nettement plus technique.

«Le CFH possède un comité d'allocation de temps d'observation, accordé en fonction de l'impact scientifique des recherches et de l'expérience des équipes», explique Daniel Devost, diplômé de l'Université Laval. Autrement dit, on privilégie des observations qui se traduiront par la publication d'articles scientifiques, la meilleure façon d'assurer la pérennité des subventions.

Le bureau de M. Devost se trouve à l'intérieur du centre administratif du CFH, lui-même localisé à Waimea (ou Kamuela), petite ville de moins de 10 000 habitants nichée à 800 mètres au-dessus du niveau de la mer. La pièce ressemble à l'idée qu'on se fait d'un bureau de scientifique: amoncellement de livres et de documents, tableau blanc barbouillé d'hiéroglyphes tracés au feutre noir, photos de ses enfants, un globe terrestre... Dans un coin gît aussi un... costume de père Noël.

Nous grimpons dans son véhicule et prenons une route en lacets vers la montagne. La végétation se raréfie. Nous entrons dans les nuages pour nous retrouver au-dessus d'eux quelques minutes plus tard. Un champ de lave se découvre sur un côté de la route.

À 2800 mètres, nous nous arrêtons à un camp de base pour la pause repas et l'acclimatation. Tout le monde s'arrête ici avant de grimper au sommet. Les techniciens qui manoeuvrent les télescopes y logent pour la durée de leur période de travail. Chaque jour, ou plutôt chaque nuit, ils font l'aller-retour entre leur télescope et le camp. Retourner chez eux, au niveau de la mer, serait trop exigeant.

Lorsque la nuit tombe, ils se mettent au travail. Selon un ordre préétabli par leur comité scientifique, ils photographient différents coins du ciel pour répondre aux nombreuses commandes des astronomes.

Au CFH, deux techniciens travaillent toute la nuit dans une pièce où le bourdonnement des appareils électriques est incessant. Ils sont assis face à une batterie d'écrans d'ordinateurs traversés de lignes de codes et de chiffres.

Lorsqu'ils font bouger la coupole du télescope, on entend une longue plainte de métal tordu. Lorsqu'ils prennent un cliché, celui-ci ne présente pas l'aspect spectaculaire des images de galaxies et de constellations que l'on voit dans les ouvrages.

Les originaux ont plutôt l'aspect d'un magma de points lumineux incompréhensibles. «Le traitement de l'image est très important en astronomie, dit Daniel Devost. Chaque image a ses défauts, ses imperfections, qu'il faut soigner.»

Les techniciens nettoient les photos des sources lumineuses non désirées et de saletés imputables aux défauts de l'instrument.

Un genre de Photoshop intergalactique, en somme.

 

Encore des projets

Inauguré en 1979, le CFH est le fruit d'un partenariat entre le Canada et la France (42,5% chacun) et de l'Université d'Hawaii (15%). «C'est une belle histoire de collaboration, un bon ménage à trois, assure le directeur Christian Veillet. Cet observatoire a permis à l'astronomie canadienne d'exister de manière forte.»

Que ce soit pour certains types d'observations ou pour la mise au point de l'instrumentation, le CFH a rendu de grands services à la communauté scientifique, assure M. Veillet. Il peut encore être très utile dans les années à venir. «Nous avons quatre nouveaux projets de collaboration jusqu'à la fin de 2012», dit le directeur.

L'administration est d'ailleurs engagée dans un projet d'automatisation des opérations. Les techniciens quitteraient alors le sommet pour le centre administratif.

Un signe indéniable que le CFH regarde vers l'avenir.

Et que l'ivresse des hauteurs finit par user son astronome.