Quand il a suggéré en 2013, dans un essai sur les analyses policières, que les techniciens responsables des comparaisons d'empreintes digitales n'aient pas accès au dossier des enquêteurs pour diminuer le risque de biais, Saul Kassin a été inondé de critiques. «Les techniciens étaient offusqués que je suggère qu'ils puissent être biaisés», explique le psychologue du Collège de justice criminelle John Jay à New York.

Plusieurs de ses correspondants ont eu un commentaire révélateur. «Ils me disaient qu'ils avaient besoin d'avoir le dossier, de savoir si le suspect avait confessé le crime, pour bien faire leur travail», a expliqué M. Kassin, samedi, à la réunion annuelle de l'Association américaine de psychologie (APA), à Washington. Ce témoignage a suscité l'hilarité de l'audience.

Saul Kassin est un spécialiste des «fausses confessions». «Les enquêteurs sont de plus en plus souvent formés par les mêmes entreprises qui enseignent aux agents de la CIA à percer les défenses des agents ennemis. Mais ces mêmes techniques peuvent aussi convaincre un innocent qu'il a réellement commis un crime, s'il passe assez de temps dans la salle d'interrogatoire seul avec les avocats. Et ces entreprises ciblent maintenant les départements de détection de fraude des grandes entreprises et même les directeurs d'école.»

Les fausses confessions font boule de neige parce que les techniciens judiciaires qui sont mêlés au dossier vont souvent être poussés, bien involontairement, à arriver à des conclusions qui renforcent la culpabilité de l'innocent. «Quand l'APA est intervenue pour la première fois dans une cause d'exonération grâce à l'ADN, elle a longuement hésité parce qu'il y avait plusieurs autres preuves, dit M. Kassin. Des empreintes digitales, des empreintes de souliers, de la graphologie. Même les parades d'identification peuvent être compromises par une fausse confession.»

L'un des problèmes, selon M. Kassin, est qu'un innocent accusé d'un crime voit rarement pourquoi il aurait besoin d'un avocat. «Si on vous accuse à tort, il est très difficile de rester silencieux, de ne pas protester. Les policiers ont aussi tendance à sous-entendre que seuls les coupables demandent un avocat.» 

«Une fois qu'il y a une confession et qu'un avocat entre dans le dossier, il n'y a souvent plus d'autre solution que de faire une entente avec la poursuite pour une réduction de peine ou d'accusations. Les juges et les jurys ont beaucoup de misère à accepter qu'un accusé revienne sur sa confession.»

Pis, certains cas d'exonération grâce à la preuve d'ADN ne mènent pas immédiatement à la relaxation de l'innocent condamné à cause d'une confession. «J'ai entendu plein de fois des procureurs dire : "Non, ce n'est pas son sperme qui a été retrouvé sur la victime, mais il est sûrement coupable puisqu'il a confessé son crime"», dit M. Kassin.

«Elle a nié 70 fois sa culpabilité»

Ainsi, plus du quart des détenus innocentés grâce à une preuve d'ADN recueillie et analysée par l'Innocence Project avaient fait une fausse confession. Cette proportion augmente à 60 % dans le cas d'homicides. « Plus le crime est grave, plus l'enquêteur au dossier est susceptible d'avoir été formé en techniques d'interrogation avancées », explique M. Kassin. Depuis 1992, l'Innocence Project a innocenté 350 personnes aux États-Unis, qui avaient passé en moyenne 14 ans en prison.

M. Kassin a aussi relaté le cas de Melissa Calusinski, une éducatrice de garderie du Wisconsin condamnée en 2011 pour le meurtre d'un bébé de 16 mois. « Elle a été interrogée pendant neuf heures et a nié 70 fois sa culpabilité. J'ai demandé à un étudiant de compter. Finalement, elle a dit qu'elle a vu le garçon se frapper la tête. Puis qu'elle l'avait échappé. Ensuite qu'elle était fâchée et qu'elle l'avait frappé. Enfin, elle a montré avec une poupée aux enquêteurs comment elle l'avait tué. Après quelques années, un nouveau pathologiste a réévalué les radiographies du bébé et a conclu que la fracture du crâne remontait à plusieurs mois et n'était pas fraîche. Le pathologiste qui avait témoigné en cour a admis qu'il s'était trompé. La seule preuve physique de la culpabilité de Melissa Calusinski disparaissait. Mais le procureur refuse de la libérer pendant le nouveau procès parce qu'elle a confessé le crime. »

Éviter les biais dans les parades d'identification

Vendredi, à la réunion annuelle de l'Association américaine de psychologie (APA), un autre psychologue, John Wixter, de l'Université de Californie à San Diego, a présenté les principales conclusions d'un rapport sur les parades d'identification publié le printemps dernier dans la revue Psychological Science in the Public Interest.

«Généralement, on va demander à un témoin qui a identifié un suspect durant une parade d'identification à quel point il est sûr de son coup durant le procès, dit M. Wixter. C'est exactement le contraire qu'il faut faire. Il faut plutôt que le policier organisant la parade d'identification témoigne du niveau de certitude du témoin juste après la parade d'identification, avant même que l'enquêteur au dossier ne rencontre le témoin pour discuter de l'identification. La mémoire a la faculté d'être renforcée si, par exemple, on dit au témoin : "C'est justement notre suspect", avant de lui demander s'il est sûr de son identification.»

Parmi les autres recommandations du rapport : une parade en série, plutôt qu'une rangée de personnes en même temps, et un policier responsable de la parade qui ignore qui est le suspect.