D'abord les cosmétiques. Puis les produits ménagers. Pour les médicaments, c'est plus compliqué. Mais peu à peu, les tests en éprouvette remplacent les animaux de laboratoire. Ce changement se fera-t-il au prix de la sécurité du public?

Depuis 2009, les sociétés cosmétiques européennes ne peuvent plus faire de tests sur les animaux. Cette exigence sera bientôt imposée à leurs concurrents du monde entier. Le Royaume-Uni songe à étendre cette directive aux produits ménagers. Et en 2007, la prestigieuse Académie américaine des sciences a annoncé qu'au XXIe siècle, les laboratoires apprendront à se passer des animaux.

«Les animaux sont toujours nécessaires, mais on en utilise de moins en moins pour chaque test», explique Thomas Hartung, directeur du Centre pour les solutions de rechange aux tests sur les animaux de l'Université Johns Hopkins, à Baltimore. «Pour les tests de toxicité aiguë LD50, dans lesquels la moitié des rats meurt, on utilise 12 rats pour chaque substance, contre 150 dans les années 70 et 80. C'est une diminution de 90%.»

Clément Gauthier, directeur du Conseil canadien de protection des animaux, qui encadre l'utilisation des animaux de laboratoire, souligne que le nombre de cobayes est resté stable, à 2,5 millions par année, depuis 25 ans, malgré le triplement du financement de la recherche.

«Le Canada a été un pionnier dans le domaine, assure M. Gauthier. Notre conseil est la société mère du Conseil international pour la science des animaux de laboratoire depuis 12 ans. Nous avons été le premier pays en 1998 à avoir une ligne directrice sur les points limites, qui exige que les chercheurs déterminent un point où ils arrêteront leur expérimentation pour éviter d'utiliser inutilement des animaux. Nous avons aussi été les premiers à avoir une ligne directrice sur les expériences utilisant les animaux sauvages.»

Bon an, mal an, un peu plus de deux millions d'animaux sont utilisés en recherche au Canada (en 2009, il y a eu un pic dépassant les 3,3 millions d'animaux). Les activités d'enseignement et les tests exigés par les organismes réglementaires ajoutent quelques centaines de milliers d'animaux. Près des deux tiers des animaux sont des souris et des poissons.

«Il y a eu une diminution très rapide après le milieu des années 70, explique M. Gauthier. Mais à cause des lois sur la protection de l'environnement dans les années 90 et surtout la recherche en génétique, avec des souris génétiquement modifiées pour refléter des maladies humaines, le nombre de recherches a beaucoup augmenté. Chacune nécessite moins d'animaux, par contre.»

Par exemple, les écoles de médecine n'utilisent presque plus d'animaux, mais plutôt des cadavres perfusés ou des mannequins. «Seules les spécialités chirurgicales très pointues utilisent encore des animaux», dit M. Gauthier. Et les recherches continuent pour trouver une manière de minimiser les souffrances des animaux. M. Gauthier cite un chercheur de McGill qui a trouvé une manière de mesurer la souffrance des souris à partir de leur expression faciale, une technique qui pourrait éviter de devoir attendre des séquelles physiologiques détectables seulement à la dissection. «Et on fait beaucoup de prétamisage sans animaux.»

Le problème, c'est que les sociétés de recherche et les agences gouvernementales ne se parlent pas suffisamment, selon M. Gauthier. «Nous aidons beaucoup d'entreprises à avoir des informations de Santé Canada, dont le premier but est de protéger le public et qui ne diffuse pas toujours assez largement le fait qu'elle accepte des tests qui ne sont pas menés sur des animaux. Il y a beaucoup de travail à faire pour établir clairement quels tests sans animaux sont acceptés et ce qu'ils peuvent couvrir.»

Toujours un besoin

Il reste que les tests sans animaux - essentiellement sur des bouillons de cellules humaines - ne sont pas encore capables de remplacer les tests faits sur les animaux, dit Thomas Hartung, de l'Université Johns Hopkins. «La reproduction et la grossesse avant la naissance ainsi que les premiers temps du développement du bébé sont des domaines difficiles à évaluer avec des bouillons de cellules humaines.»

Même le très militant People for the Ethical Treatment of Animals (PETA), bien connu pour ses campagnes contre la chasse aux phoques et la fourrure, admet que la recherche pharmaceutique a encore besoin des animaux.

«Pour la phototoxicité et la toxicité reproductive, les tests sur des cellules humaines sont longs et chers, indique Alka Chandna, responsable de la surveillance chez PETA à Washington. Dans le secteur cosmétique, on peut se passer des animaux. Dans le pharmaceutique, c'est beaucoup plus difficile. Mais les sociétés y trouveront leur compte. Quand on a un échec avec des essais sur des animaux, il n'y a rien dans les résultats qui peut aider à interpréter la raison de l'échec. Avec des cellules humaines, ont peut avoir des détails sur les mécanismes de toxicité, par exemple. Ça peut permettre à la société de réutiliser une partie des travaux.»

L'Europe et l'Amérique du Nord ont deux approches différentes. «L'Europe adopte des lois pour forcer un changement», dit M. Hartung, qui dirigeait auparavant un centre de la Commission européenne similaire au Centre pour les solutions de rechange aux tests sur les animaux de l'Université Johns Hopkins. «Une loi interdit depuis 2009 aux sociétés cosmétiques d'utiliser des animaux et elle sera étendue aux entreprises étrangères en 2013. On réfléchit à une loi similaire pour les produits ménagers au Royaume-Uni. Mais en Amérique du Nord, il y a beaucoup plus de recherches sur les méthodes alternatives aux animaux de laboratoire.»

Une loi européenne qui impose de nouveaux tests sur 50 000 produits chimiques, le programme Reach, illustre le dilemme devant lequel se trouvent les autorités. «Il faudra beaucoup, beaucoup d'animaux de laboratoire pour augmenter le niveau de sûreté, dit M. Hartung. Ça va à l'encontre des efforts pour en utiliser moins. Au Canada, l'approche est plus mesurée. Il y a un programme similaire, mais il est limité à 14 000 substances.»

Une idée d'Alex Amyot

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