Peu avant l'annonce du prochain Prix Nobel de Médecine, la revue scientifique Nature publie des lettres enfouies depuis des décennies dans des cartons qui éclairent d'un nouveau jour la saga qui a conduit à la découverte de la structure en double hélice de l'ADN en 1953.

Francis Crick, James Watson et Maurice Wilkins avaient reçu en 1962 le Prix Nobel de médecine pour cette percée déterminante pour toute la biologie moderne, mais le rôle clé de Rosalind Franklin, décédée d'un cancer en 1958, a été un peu oublié.

Des féministes ont estimé que la contribution de cette chercheuse n'avait pas été reconnue à cause du poids du machisme dans les sciences. Dans une allusion au prochain départ de sa collègue Rosalind Franklin vers un autre labo, Maurice Wilkins a écrit souhaiter que «la fumée des sorcières disparaisse bientôt de (sa) vue».

La correspondance retrouvée montre les tensions entre les scientifiques, partagés entre rivalité professionnelle, soupçons, amitiés, incompréhensions et egos blessés. «On perçoit clairement les relations tendues et les fortes personnalités», analyse Nature dans son édition de jeudi.

«Nous sommes réellement pris entre des forces qui pourraient nous hacher menu», confie Maurice Wilkins à James Crick en décembre 1951, évoquant avec mépris les bagarres institutionnelles pour le pouvoir en arrière plan.

Crick était un Britannique qui avait arpenté plusieurs pistes de recherches sur l'ADN avant de faire équipe avec James Watson, un jeune Américain, au sein du célèbre laboratoire Cavendish à Cambridge.

Ils étaient convaincus qu'une énigmatique molécule appelée acide désoxyribonucléique (ADN) - et non des protéines, comme on le croyait jusqu'alors- détenait l'information génétique transmise de générations en générations.

Leur façon de tester leurs idées en élaborant des structures en cartons plutôt que sur la paillasse d'un laboratoire faisait douter de leur sérieux.

Chargés de percer le mystère de l'ADN, ils s'étaient vus un temps retirer cette tâche, avant qu'elle ne leur soit à nouveau confiée de crainte que le chimiste américain Linus Pauling y parvienne en premier.

Wilkins travaillait pour sa part au King's College de Londres, avec une expérimentatrice douée, Rosalind Franklin, dont les images de molécules obtenues grâce à la cristallographie aux rayons X permettront de découvrir la structure en double hélice de l'ADN.

Les lettres retrouvées témoignent de l'irritation de Wilkins qui redoute de voir Watson et Crick fourrer le nez dans les recherches au sein de son labo. Elles mettent aussi l'accent sur ses relations empoisonnées avec Rosalind Franklin, parce que leur chef n'a pas clairement défini qui était chargé de conduire la recherche sur l'ADN dans leur labo.

C'est Wilkins qui - dans le dos de Franklin, selon certains récits - a montré à Watson une image prise par sa collègue, maintenant immortalisée comme la Photo 51, qui montre clairement une double hélice, une indication de la forme de l'ADN perçue par le jeune Américain.

Alex Gann et Jan Witkowski, les deux scientifiques ayant retrouvé les lettres perdues, estiment dans Nature que Wilkins était un «être torturé», partagé entre sa volonté de coopérer et son désir de faire carrière et d'obtenir des résultats.