L'insomnie n'est pas un mal passager. Trois fois sur quatre, ce trouble dure plus d'un an, selon une nouvelle étude québécoise.

«Nous entendons souvent des patients nous raconter qu'ils sont insomniaques depuis 10, 20 ans», explique l'auteur principal de l'étude, Charles Morin de l'école de psychologie de l'Université Laval. «Sans êtres sceptiques, nous étions surpris par cette persistance. Nous avons donc cherché à comprendre comment l'insomnie évolue.»

Les résultats ont été «surprenants», selon M. Morin, qui publie son étude dans la prestigieuse revue Archives of Internal Medicine. L'insomnie dure plus d'un an chez 74% des patients, et plus de trois ans chez 46% d'entre eux. Les femmes de plus de 55 ans sont particulièrement touchées: l'insomnie les affecte plus d'un an dans 95% des cas.

La bonne nouvelle, c'est que l'insomnie légère dégénère rarement. Chez les cobayes qui n'avaient que des symptômes d'insomnie au début de l'étude, moins de 15% ont développé un «syndrome d'insomnie», avec des problèmes de fonctionnement le jour et plus de deux nuits affectées chaque semaine, durant les trois ans de suivi. Près de 40% des cas d'insomnie légère se réglaient, contre seulement 24% des syndromes d'insomnie.

«Quand on a seulement quelques moments passagers d'insomnie, il ne faut pas paniquer», conclut M. Morin, qui vient de publier la deuxième édition d'un livre appelé Vaincre les ennemis du sommeil. «Et d'une manière plus générale, il faut voir l'insomnie comme la douleur chronique: on peut améliorer la situation, et faire en sorte qu'elle soit moins stressante, sans nécessairement régler totalement le problème. Après quelques semaines, il vaut la peine d'aller chercher de l'aide, d'en parler à son médecin.»

Les psychothérapies contre l'insomnie comportent d'ailleurs un volet où le patient se fait expliquer, chiffres à l'appui, qu'il dort davantage qu'il n'en a l'impression. «Les gens ont tendance à surestimer le temps qu'ils prennent à s'endormir, et sous-estimer le temps total de sommeil, dit M. Morin. Chez les insomniaques, c'est amplifié, parce qu'ils se réveillent souvent. Mais il faut aussi travailler sur les comportements face au sommeil, par exemple avoir une chambre bien calme et sombre, et ne pas regarder l'horloge à tout moment.»

Des études ont montré que ce type de psychothérapie fonctionne deux fois mieux que les somnifères pour régler définitivement l'insomnie. «Les somnifères, c'est bon pour le court terme, dit M. Morin. Le problème, c'est qu'ils sont remboursés par le gouvernement, mais pas les psychothérapies.»

L'étude publiée lundi, financée par le gouvernement américain, a suivi 1467 personnes pendant trois ans. Le quart d'entre eux souffraient au départ d'insomnie légère à sévère. C'est à partir de ce sous-groupe de 388 personnes que l'étude a été réalisée.

Six milliards en coûts

L'insomnie a des coûts annuels de 6,6 milliards $ au Québec, selon une autre étude de Charles Morin de l'Université Laval. À lui seul, l'absentéisme frise le milliard. Les Québécois ont beaucoup plus recours à l'alcool qu'aux somnifères pour s'attaquer au problème : les ventes d'alcool liées à l'insomnie atteignent 340 millions $, contre 20 millions$ pour les somnifères. Les consultations médicales dépassent 225 millions $. L'étude a aussi évalué que l'insomnie coûte plus de cinq milliards$ en perte de productivité, en se basant sur les évaluations des 1000 participants à l'étude. Les cobayes devaient évaluer leur productivité réelle par rapport à ce qu'ils atteindraient dans des conditions idéales, puis évaluer si les pertes de productivité étaient dues à l'insomnie où à d'autres problèmes, comme la maladie ou le stress. Comme le traitement de l'insomnie représente moins de 20% des coûts totaux, M. Morin estime que de meilleurs soins réduiront beaucoup ces coûts.