Après les critiques, l'action. Outrés par la décision du gouvernement Harper de réserver une nouvelle enveloppe de 17,5 millions de dollars exclusivement à des projets de recherche universitaire précisément liés au domaine des affaires, des professeurs ont entrepris de manifester leur colère en boycottant une partie de l'évaluation des dossiers de mise en candidature des étudiants, a appris La Presse.

Ces professeurs refusent de se soumettre à une nouvelle directive fédérale qui leur a été envoyée il y a deux semaines, qui leur demande de signaler clairement au Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) les projets liés au domaine des affaires présentés par des candidats à la maîtrise et au doctorat.

 

Le CRSH remettra environ 3000 bourses cette année sur la base des évaluations faites par des comités formés de professeurs répartis dans toutes les universités du pays. Chaque petit groupe de professeurs doit évaluer quelque 70 dossiers en fonction d'une série de critères établis par Ottawa et leur attribuer une note de 0 à 10. Les projets qui ont reçu une note de 7 ou plus sont assurés d'être financés, ceux qui se situent entre 5 et 7 le seront si les fonds sont suffisants. Les autres projets seraient écartés.

Or, les professeurs craignent que les étudiants ne soient plus systématiquement soutenus en fonction de la valeur de leur dossier. Par exemple, un étudiant dont le projet a reçu une note de 6 pourrait être privé de subvention si les fonds de l'enveloppe de base du CRSH ont été épuisés, alors qu'un étudiant dont le projet porte sur le domaine des affaires mais qui n'a reçu qu'un 5 aurait encore des chances d'être financé grâce à l'enveloppe additionnelle de 17,5 millions de dollars. «Cette situation nous apparaît totalement inacceptable», a expliqué l'un des professeurs (tous ont requis l'anonymat, car la composition des groupes d'évaluation de mise en candidature ne doit pas être rendue publique). «Le gouvernement Harper insulte l'indépendance des universitaires et envoie aux milliers d'étudiants en sciences humaines le message qu'il n'y a que le domaine de l'économie qui compte réellement», dit-il.

Dans un courriel envoyé aux responsables du CRSH, un autre professeur affirme que, avec les nouvelles dispositions, le processus de sélection ne peut plus être rigoureux, juste et équitable. «S'il y a des fonds supplémentaires, ils devraient simplement être alloués aux meilleurs dossiers», écrit-il.

Ce geste est d'abord symbolique. La sélection des dossiers liés au domaine des affaires n'est en fait qu'une formalité et pourra être faite par un fonctionnaire à Ottawa. «Mais nous, nous pourrons vivre avec notre conscience», témoigne un autre professeur.

Les professeurs ont par ailleurs choisi de ne pas boycotter l'ensemble du processus pour ne pas nuire aux étudiants.

Cette action s'inscrit dans un mouvement de protestation plus vaste dans les universités canadiennes. La semaine dernière, dans une lettre ouverte, une centaine de professeurs de sciences humaines de partout au pays ont demandé au gouvernement conservateur de revenir sur sa position. Une pétition en ligne a aussi été lancée par la députée du NPD Niki Ashton, qui a recueilli plus de 12 500 signatures en moins de 10 jours.