Au Québec, peu de femmes embrassent le métier de photojournaliste. Sarah Mongeau-Birkett occupe cette fonction à La Presse. Rencontre avec une professionnelle d’exception.

Quand on demande à Sarah pourquoi, selon elle, on lui connaît peu de consœurs dans le milieu des médias, cette dernière médite longuement en plissant les yeux, sans toutefois trouver de réponse. « Honnêtement, je ne sais pas. C’est un métier hyper masculin. Beaucoup de femmes choisissent plutôt de faire de la photographie artistique ou commerciale. Si je voulais une mentore… ce serait compliqué », avance-t-elle avant de retourner à ses réflexions.

Elle reprend : « Mon travail n’est pas facile physiquement. Je traîne des équipements super lourds, partout, tout le temps avec moi », ajoute celle qui souffre de douleurs au dos en pointant ses deux imposants appareils posés sur une table du Bar St-Laurent Frappé, à Montréal, où nous l’avons rejoint une trentaine de minutes avant la diffusion sur écrans géants d’un match de qualifications de la Coupe du monde de la FIFA.

En cette soirée de la fin mars, le Canada affronte le Costa Rica dans l’espoir de se rendre au Qatar, et Sarah a pour mandat d’immortaliser le rassemblement frénétique et bruyant de partisans. En l’observant, on ne peut que lui donner raison : il faut être en forme pour saisir le meilleur cliché.

Appareil photo à la main, la trentenaire fait de la gymnastique, marche rapidement d’un bout à l’autre de la pièce, s’arrête, se met à genou par terre, puis s’accroupit, s’assoit, se lève, et ainsi de suite, durant tout le match de soccer transmis en direct de San José.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Ce soir-là. le travail de Sarah est aussi sportif que le match qui se dispute.

Elle se promène de siège en siège pour discuter avec les amateurs de foot. Elle doit systématiquement leur demander s’ils sont à l’aise de se retrouver sur les plateformes de La Presse ; une autorisation orale de publication est nécessaire.

« On croise toujours les doigts en espérant que les gens acceptent. Si quelqu’un refuse, souvent, tout le monde l’imite », raconte-t-elle. Sarah s’exprime avec enthousiasme et sa queue de cheval blond platine danse dans l’air au rythme de ses explications; on pourrait croire que cette dernière cherche à battre au rythme de l’assourdissante musique ambiante.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Sarah débute la soirée en approchant les groupes d'amis entassés au premier étage du Bar St-Laurent Frappé. Elle se présente comme photojournaliste à La Presse et leur demander s'ils acceptent de se retrouver sur ses clichés qui seront publiés sur nos plateformes. Elle est tenue d'obtenir le consentement de chacun.

Ensuite, la mission de Sarah est de se faire toute petite, de se faufiler entre les tables pour être oubliée de tous. Ce qu’elle trouve important dans sa profession, c’est l’authenticité : il faut capter la scène de manière spontanée, comme elle vient, sans la dénaturer.

  • L'équipe canadienne s'est inclinée 1-0 devant les Costaricains. Les photos de Sarah témoignent de l'ambiance au bar.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

    L'équipe canadienne s'est inclinée 1-0 devant les Costaricains. Les photos de Sarah témoignent de l'ambiance au bar.

  • L'équipe canadienne s'est inclinée 1-0 devant les Costaricains. Les photos de Sarah témoignent de l'ambiance au bar.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

    L'équipe canadienne s'est inclinée 1-0 devant les Costaricains. Les photos de Sarah témoignent de l'ambiance au bar.

  • L'équipe canadienne s'est inclinée 1-0 devant les Costaricains. Les photos de Sarah témoignent de l'ambiance au bar.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

    L'équipe canadienne s'est inclinée 1-0 devant les Costaricains. Les photos de Sarah témoignent de l'ambiance au bar.

  • L'équipe canadienne s'est inclinée 1-0 devant les Costaricains. Les photos de Sarah témoignent de l'ambiance au bar.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

    L'équipe canadienne s'est inclinée 1-0 devant les Costaricains. Les photos de Sarah témoignent de l'ambiance au bar.

  • L'équipe canadienne s'est inclinée 1-0 devant les Costaricains. Les photos de Sarah témoignent de l'ambiance au bar.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

    L'équipe canadienne s'est inclinée 1-0 devant les Costaricains. Les photos de Sarah témoignent de l'ambiance au bar.

  • L'équipe canadienne s'est inclinée 1-0 devant les Costaricains. Les photos de Sarah témoignent de l'ambiance au bar.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

    L'équipe canadienne s'est inclinée 1-0 devant les Costaricains. Les photos de Sarah témoignent de l'ambiance au bar.

  • Sarah profite de la mi-temps pour envoyer quelques photos.

    PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

    Sarah profite de la mi-temps pour envoyer quelques photos.

  • Sarah regarde le match en pensant à sa prochaine photo. Cette affectation comporte un défi important : la luminosité. Prendre de bonnes photos dans un bar très sombre n'est pas gagné d'avance.

    PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

    Sarah regarde le match en pensant à sa prochaine photo. Cette affectation comporte un défi important : la luminosité. Prendre de bonnes photos dans un bar très sombre n'est pas gagné d'avance.

1/8
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Être une femme a-t-il une incidence sur sa façon de photographier? Elle répond par l’affirmative, tout simplement parce que les hommes et les femmes vivent des expériences différentes. Sur le terrain, Sarah porte un bagage et un regard qui lui est propre, notamment lorsqu’elle braque son objectif sur des victimes de violence conjugale ou… sur des Ukrainiennes qui ont tout laissé derrière, même leur mari resté au combat, pour se réfugier en Pologne.

Envoyées spéciales

À la fin février, Sarah s’est rendue à Cracovie avec la journaliste Mélanie Marquis alors que l’invasion russe au pays de Volodymyr Zelensky en était à ses premiers bombardements. Quand on lui a offert de partir pour se frayer un chemin vers l’Ukraine, celle-ci a accepté au bout de quelques minutes. Elle se rappelle en riant : « Je n’en ai même pas parlé à mon mari avant d’accepter ». Des assignations comme celles-là, ça ne se refuse pas, soutient la mère d'un petit garçon d'un an qui a dû mettre la main sur une gardienne à la dernière minute. Sarah a un horaire de soir et s’occupe de son fils durant la journée.

Lisez Défiance face à l'ours russe

Là-bas, le duo travaillait 20 heures sur 24 sur l’adrénaline. Parmi le chaos et la harde de journalistes qui visait le même but, elles ont tenté de trouver un fixeur ukrainien (un guide-traducteur qui les aurait conduites le plus sécuritairement possible à travers le pays) pour traverser la frontière et se rendre en Ukraine, en vain. Elles se sont alors dirigées en Lituanie, où les inquiétudes à l’égard du Kremlin se font grandes.

Lisez À bras ouverts

De la souffrance, nos envoyées spéciales en ont donc été témoins. Sarah se souvient notamment avoir échangé, par l’intermédiaire d’un traducteur polonais au fort accent québécois qui avait appris le français au Québec, avec une mère en exil qui pleurait près de son bébé qui jouait par terre, à quelques pas. Impossible pour Sarah de ne pas penser à son garçon, qui l’attendait sagement au chaud dans sa maison canadienne.

Ce n’est qu’au retour que les larmes sont venues. « J’écoutais un reportage de la BBC, un homme disait au revoir à sa famille dans une gare en tenant dans ses mains un petit camion que son enfant lui avait laissé — une scène que j’ai vue plein de fois —, et j’ai éclaté. Faire ton lavage, ça devient tellement futile. »

Une passion

Petite, en suivant un peu partout son père pilote d’avion, Sarah a découvert une passion pour la photo de voyage. Aujourd’hui, après un parcours de pigiste et neuf années à La Presse, ce qu’elle aime le plus de son métier, c’est rencontrer des gens intéressants de tous les horizons, mais aussi raconter des histoires visuelles toujours variées, car les photojournalistes n’ont pas de spécialisation.

En 2022, Sarah a ainsi couvert l’occupation à Ottawa, un spectacle de l’Orchestre symphonique de Montréal, une manifestation contre la brutalité policière, l’ouverture d’un nouvel hôtel, des faits divers… Et tout un lot d’actualités à venir.

Parlons-en, justement, de l’avenir. Sarah croit-elle que les femmes investiront davantage l’univers du photojournalisme? « Oui, ça commence à changer avec la nouvelle génération », affirme celle qui a étudié en sciences politiques à l’Université McGill, puis à la maîtrise en photojournalisme à Boston, car il n’existe pas de tel programme au Québec. Chose certaine, par sa polyvalence, sa curiosité et son énergie, Sarah se révèle un modèle inspirant pour toutes celles qui voudraient suivre son chemin.