C’est le souvenir qui relance une des plus grandes énigmes de l’Histoire. Dans son livre The Final Witness, Paul Landis raconte son 22 novembre 1963 et comment il a ramassé dans la Lincoln présidentielle une balle « intacte ».Selon le rapport Warren, elle est celle qui aurait à la fois atteint le président Kennedy et, devant lui, le gouverneur Connally. Une trajectoire dont elle tire son nom de « balle magique ». Or, si Paul Landis dit vrai, elle a continué son chemin, au point de retourner sur le siège arrière où Landis l’a découverte. De quoi accréditer la thèse du second tueur. On n’en a pas fini avec Dallas.
Pendant longtemps, il n’a rien voulu dire. Paul Landis était à 15 mètres de John F. Kennedy quand il a vu sa tête exploser. C’était le 22 novembre 1963, à midi et demi. Il a vu le sang jaillir et a failli recevoir des morceaux de la cervelle de celui qu’il était censé protéger. Une vision d’horreur, dont il ne s’est jamais remis. Lui, le Rambo au costume noir et aux lunettes sombres, est resté impuissant face à la tragédie qui se déroulait sous ses yeux. Il avait failli, dit-il, « à sa mission suprême en laissant tomber son patron et, derrière lui, toute l’Amérique ». Assailli par un puissant sentiment de culpabilité, il a enfoui ce souvenir et s’est tu jusqu’au jour où, stupéfait, il a découvert que l’histoire officielle de l’assassinat de JFK n’était pas tout à fait celle qu’il avait vécue…
« J’avais alors 28 ans et j’adorais mon job », raconte-t-il aujourd’hui. Paul est né à Worthington, un bled rural de l’Ohio. Et il a toujours rêvé d’aventure. Un jour, sa sœur lui présente un ami, Bob Foster, qui travaille pour le corps d’élite de l’US Secret Service, chargé de la protection rapprochée du président. « Tu devrais essayer », lui dit-il. Seul problème : sa petite taille. Le service ne prend que des hommes de 1,72 mètre minimum. Sous la toise, il étire son corps au maximum et franchit l’obstacle, puis il passe les examens d’aptitude. Le voilà admis. Son nom de code sera « Debut », à cause de son allure juvénile. Il est le plus jeune membre du corps. Mais à 24 ans, on lui en donne cinq de moins. En mars 1960, Paul Landis est d’abord affecté à la protection de quatre des petits-enfants du président Dwight D. Eisenhower, qui vivent en Pennsylvanie. Après l’élection de John F. Kennedy, en novembre 1960, il rejoint la Maison-Blanche.

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Paul Landis, 88 ans, dans l’Ohio, où il réside.
Nouveau président, nouveau style. « Bonjour, M. Landis », lâche JFK quand il croise Paul. Kennedy n’est pas Eisenhower : il connaît les noms de ses gardes du corps qui sont sous le charme. Paul découvre Glen Ora, la « ferme » que le couple présidentiel loue à une heure de Washington, et se laisse éblouir par l’élégance et la classe de Jackie. Les deux enfants, Caroline et John, « sont très bien élevés et faciles à vivre ». Un jour, après le service, il part pêcher et Caroline, 4 ans, le voit mettre sa canne à pêche dans le coffre de sa voiture. « Est-ce que je peux y aller moi aussi ? » demande-t-elle. Jackie est de la partie. Au bord de l’étang, la petite fille se passionne pour les grenouilles et les tortues. Et Paul finit par extraire de l’eau, sous les applaudissements enthousiastes de ses accompagnatrices, un achigan à grande bouche. En souvenir de cette jolie journée, il fera naturaliser et encadrer le poisson qui est encore accroché dans son bureau.
Comme les enfants l’adorent, Paul est affecté à leur protection rapprochée. Le voilà ainsi promu « gardien de luxe ».
Un jour, un journal publie une photo prise au téléobjectif où on le voit courir près de Caroline, juchée sur son poney Macaroni qui galope sur la pelouse de la Maison-Blanche. Jackie lui offrira le cliché avec un mot de remerciement où elle exprime son « admiration » pour sa prouesse. Une autre fois, Caroline insiste pour faire entrer Macaroni dans le Bureau ovale, où son père est en train de travailler. « Je suis prêt à parier que c’est la seule fois dans l’histoire de la Maison-Blanche qu’un cheval est entré dans cette pièce », fanfaronne Paul.
Le provincial de l’Ohio voyage dans les endroits les plus jet-set de la planète. Il passe ses hivers à Palm Beach, où Joe, le père de JFK, possède une demeure immense (1500 mètres carrés avec 11 chambres). Paul est là, le 19 décembre 1961, quand le patriarche est victime d’un AVC. L’été, il s’installe à Hyannis Port, à Cape Cod, l’autre fief des Kennedy. Transféré dès octobre 1962 à la protection rapprochée de la Première dame, il est avec elle, en voiture, quand le 7 août 1963 elle sent les premières douleurs de l’accouchement. « M. Landis, s’il vous plaît, conduisez plus vite », implore-t-elle. L’enfant, né prématuré, décède peu après sa naissance. Jackie est effondrée. Deux mois plus tard, Aristote Onassis l’invite à se reposer sur le Christina O, son yacht de 100 mètres. Comment deviner que, un jour, elle deviendrait la femme de ce milliardaire grec ? Paul déteste le personnage qui s’ingénie, en vain, à le semer, mais il est impressionné par le luxe éblouissant de son navire, doté de deux hors-bord et d’un hydravion. « J’ai vécu la vie des gens riches et célèbres pendant 12 jours et je ne l’oublierai jamais », témoigne-t-il.
On sait comment s’achève le rêve, le 22 novembre 1963, à Dallas… De cette journée, Paul a gardé l’ordre de mission, minute par minute. Tout avait pourtant bien commencé. Au petit déjeuner, à Fort Worth, Kennedy se présente à la foule comme « l’homme qui accompagne Jackie ». Sa venue est une victoire pour lui, car elle a la phobie de la foule et plus encore des Texans, qu’elle sait hostiles à son mari qu’ils ne cessent de dénigrer, notamment pour son catholicisme. Mais elle comprend que le voyage est important en cette période préélectorale. Un déjeuner les attend à Trade Mart, un centre commercial. Il faut passer par le centre de Dallas.

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Derrière la décapotable présidentielle, la Cadillac des services secrets. Debout, à gauche, Paul Landis se retourne : il a entendu des coups de feu tirés derrière lui.
Paul est debout sur le marchepied, côté droit, de la voiture de sécurité qui suit la limousine présidentielle. Tout près de JFK, mais trop loin pour faire bouclier de son corps. À 12 h 30, le premier coup de feu retentit. Paul Landis revoit son collègue Clint Hill monter sur le coffre de la limousine présidentielle, qui accélère brusquement. Le cortège file vers l’hôpital Parkland. À son arrivée, Paul se précipite vers Jackie. Elle est encore assise dans la limousine présidentielle, recroquevillée sur quelque chose qu’elle semble protéger et cacher : son mari, défiguré, qui repose sur ses genoux. « S’il vous plaît, laissez-moi vous aider », lui dit-il alors en la prenant par les épaules. « Non, je veux rester avec lui », répond-elle fermement. Elle ne lâche prise qu’au moment où quelqu’un a la présence d’esprit de recouvrir d’une veste la tête et le torse ensanglantés du président.

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Sur le film d’Abraham Zapruder, on voit le président au moment où la seconde balle, mortelle, l’atteint. Il s’effondre sur Jackie.
Mais alors qu’elle se lève, Paul découvre sur la banquette une balle, elle est intacte. Le détail a son importance, mais il l’ignore encore. Il se dit qu’il s’agit d’une pièce à conviction qui sera utile aux enquêteurs, qu’elle risque de disparaître dans la confusion ou d’être volée par quelque collectionneur morbide. Alors il la prend et la met dans la poche droite de sa veste. Il suit Jackie dans la salle de réanimation, où règne un chaos indescriptible. Personnel soignant, personnel de sécurité, politiques… il y a tellement de monde qu’on a du mal à bouger. Paul se sent étouffer. Il ne veut pas pleurer, alors il fixe les chaussures noires de JFK qu’on tente encore de sauver.
Dans ce climat général de panique, il a l’idée de déposer la balle où personne n’osera la prendre : sur le brancard du président, à côté de son pied gauche, comme si elle lui appartenait. Puis il s’en va, se sentant libéré de ce fardeau qu’il va s’empresser d’oublier ; sa mission est de veiller sur Jackie.
Elle est assise sur une chaise dans le couloir, le tailleur rose taché du sang de son mari. « Vous pensez qu’il peut encore être vivant ? » demande-t-elle à un médecin qui affirme qu’il respire encore. « Son regard était vide, sans expression. Aucune larme ne coulait. Elle avait l’air d’être ailleurs », se souvient Paul. Un prêtre arrive pour l’extrême-onction, il est suivi du médecin légiste. À 13 heures, la mort du président est annoncée. Jackie quitte les lieux par une sortie de secours. À 14 h 04, elle s’installe près de son cercueil, dans la voiture qui roule vers l’avion dans lequel Lyndon Johnson va devenir le nouveau président des États-Unis. À l’intérieur, Paul s’effondre en larmes.

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Paul Landis montre sa place dans le cortège funéraire, le 25 novembre 1963.
Pendant les funérailles, il est toujours avec Jackie, près du petit John qui fait le salut militaire que l’agent Bob Foster lui a appris, quand passe la dépouille de son père. Jackie n’est plus première dame des États-Unis, mais elle est la femme la plus célèbre du monde. Et Paul décide de quitter le job aimé. Le 12 juin 1964, il remet sa démission. Une nouvelle vie commence. Il se marie, se lance avec succès dans une entreprise de peinture, divorce et refuse toutes les propositions d’entrevues.
Tout bascule en 2014, quand un ami le presse de lire Six Seconds in Dallas, de Josiah Thompson. C’est incompréhensible, mais il n’a jamais rien lu sur JFK.
Jusqu’à la page 146, le récit correspond à ses souvenirs. Mais là, il découvre une erreur, si ce n’est un mensonge. Le rapport d’enquête de la commission Warren a établi que Lee Harvey Oswald était le tireur unique. Selon ce document officiel, deux balles ont touché JFK, dont celle retrouvée intacte sur le brancard de John Connally, le gouverneur du Texas qui se trouvait à l’avant de la limousine présidentielle. Ce ne peut être que la fameuse balle ramassée par Paul et déposée sur le brancard du président.

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Paul Landis chez lui, dans l’Ohio, l'été dernier.
Si Paul s’était un tant soit peu intéressé à l’enquête qui a fait couler tant d’encre, il saurait que cette balle est désormais célèbre sous le nom de « balle magique » : non seulement elle aurait atteint le président et le gouverneur Connally, mais elle n’aurait été ni déformée ni abîmée.
Or, si l’on en croit les souvenirs de Paul, elle a effectué un nouveau tour de piste : après avoir traversé la gorge du président, la clavicule, le poumon, le poignet et la cuisse du gouverneur, elle serait revenue sur la banquette arrière.
Pourquoi la commission d’enquête Warren ne l’a-t-elle jamais interrogé ? Au soir de sa vie, Paul se sent « obligé » de dire ce qu’il sait. Il en tire un livre, The Final Witness (Le dernier témoin, non traduit), paru en septembre, auquel le New York Times a accordé un immense crédit. Paul Landis n’a jamais cru aux théories du complot selon lesquelles se serait caché derrière un certain talus un second tueur, lequel aurait atteint sa cible de face. Il reste persuadé que les trois coups de feu tirés sur le président venaient de l’arrière, c’est-à-dire de l’endroit où Lee Harvey Oswald était positionné. Pourtant, il vient de fournir aux complotistes un argument essentiel.
Que lui importe… il cherche la sérénité : « Ce livre a été une thérapie et, quand je l’ai achevé, je me suis effondré en larmes. » En philosophe, il se dit sans doute que le passé appartient aux fantômes et qu’ils doivent laisser en paix les vivants.