Le XVIIe, ça vous dit quoi ? » interroge Brigitte Macron, debout, tête droite, silhouette gracile campée sur des escarpins stilettos, manteau et legging bleu marine. Et d’enchaîner d’une voix tonique, efficace : « Le XVIIe, c’est Louis XIV, 72 ans de monarchie absolue ; c’est Richelieu qui crée l’Académie française pour en faire un instrument de rayonnement de la langue française. En littérature, la raison doit toujours l’emporter. On se méfie de la passion amoureuse, qui se termine toujours mal. On chasse tout ce qui est vulgaire, violent. On recherche la beauté, la rigueur. Au théâtre, c’est l’unité d’action, de lieu et de temps. Racine, Corneille, Molière, La Fontaine, Mme de La Fayette… tous ont produit des œuvres dans cet esprit classique qui a franchi les siècles. » Savoir capter l’attention de son auditoire, tout un art !
Ce 11 octobre, Brigitte Macron est à Clichy-sous-Bois. Elle donne un cours de littérature sur le campus de l’association Live, dont elle est la présidente. L’Institut des vocations pour l’emploi a pris corps à l’orée du premier quinquennat, lors de conversations avec Bernard Arnault, dont deux des fils avaient été les élèves de Brigitte Macron, alors enseignante à Saint-Louis-de-Gonzague, dit « Franklin », haut lieu de l’éducation jésuite fréquenté par les enfants de l’élite. Elle y a laissé le souvenir d’une prof « stimulante », « très disponible », « optimiste », « empathique ». Les témoignages des élèves et des parents rivalisent entre louange et dithyrambe.
La première dame voulait être utile. Le PDG de LVMH, lui être utile. Que faire ? Eurêka ! Accompagner des adultes de 25 ans et plus, éloignés du monde du travail, qui souhaitent construire un projet professionnel ! « Je suis allé voir Mme Macron à l’Élysée », raconte Olivier Théophile, directeur de la responsabilité sociale pour le groupe LVMH et directeur de Live, qui précise que l’institution est financée à 100 % par LVMH « sans réduction fiscale ». « J’ai tout de suite perçu qu’elle avait des idées très précises. » Il s’agissait d’abord d’élaborer un programme, un socle de culture générale, confié à un comité pédagogique que les éditions Nathan allaient éditer. Les volontaires bénéficieraient d’un stage (gratuit) pendant cinq mois : des cours de 9 heures à 16 h 30 tous les jours, puis un suivi les cinq mois suivants.

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Sur la terrasse sud du Palais, où le président s’installe souvent pour travailler
Bilan aujourd’hui : 80 % des stagiaires ont trouvé un emploi. Le premier jour, chacun a droit à un tête-à-tête avec Mme la présidente pour lui exposer son projet. Elle prend le temps de les écouter. Elle aura ainsi conduit 1131 entretiens en quatre ans. Le premier campus ouvre en 2019, à Clichy-sous-Bois. Viendront ensuite Valence, Roubaix, Marseille. L’an prochain, Live s’implantera à Reims et au Havre.
Retour au cours de littérature. On est en visioconférence avec les campus de Marseille et de Valence. Dans la salle, 60 personnes, tous âges mêlés. Brigitte Macron a sélectionné plusieurs extraits d’œuvres du XVIIe. « On commence par La princesse de Clèves, de Mme de La Fayette, dit-elle. Avec la scène du “coup de foudre en direct, lors du bal à la cour, la très belle Mme de Clèves est sommée par le roi de danser avec le très séduisant duc de Nemours. Une alchimie physique se crée entre eux”. Qui veut lire ? » Les moins timides lèvent la main. Résumé du roman : Mme de Clèves avouera son trouble à son mari, lequel se croyant trompé en mourra. Elle renoncera au bonheur alors que M. de Nemours se meurt d’amour pour elle. « Ils incarnent la dimension tragique de la passion, c’est la morale du XVIIe. Auriez-vous réagi comme elle ? » Sur les trois campus, quelques femmes osent dire non. On passe à La Fontaine avec la fable des Deux coqs. « Une métaphore du hasard qui bouscule la vie. Qui veut lire ? » Suivent Les pensées, de Blaise Pascal, fragment 172 sur l’incapacité de l’homme à vivre au présent. « Qui veut lire ? » « J’ai choisi ce texte philosophique qui va vous faire du bien, car il explique pourquoi vous êtes malheureux. »
« Allez, on fait une petite pause de cinq minutes. » Reprise avec Molière. Et le monologue d’Harpagon dans L’avare. « Qui veut lire ? » Il y a un volontaire à Valence. « Allez-y, faites-en des tonnes : “Au voleur, au voleur !” Votre voix doit monter fort. Allez, lancez-vous, les épaules en arrière. »
Brigitte Macron mime la scène. On comprend quelle professeure de théâtre elle fut à Amiens. Elle jubile. Son plaisir est contagieux.
Le cours a duré une heure, on n’a pas vu le temps passer. Aucune caméra n’est admise sur le campus. Brigitte Macron refuse la lumière. « Une fois, j’ai eu toutes les télévisions derrière moi, c’est lorsque j’ai raccompagné à Roissy le panda qui repartait en Chine ! » plaisante-t-elle.
À peine le temps de boire un verre d’eau avec son équipe, elle file à Villejuif accueillir un père venu d’Ukraine : son jeune fils vient d’être emporté par un cancer. Il avait bénéficié de l’opération Cigogne pour l’accueil de petits Ukrainiens malades et de jeunes élèves, une initiative de Brigitte Macron et Olena Zelenska, les deux premières dames qui se sont encore vues à Paris la semaine dernière.

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À l’Élysée, où elle accueille pour la deuxième fois la première dame d’Ukraine, Olena Zelenska, le 8 novembre.
Pour avoir succédé à Bernadette Chirac à la présidence de la Fondation des Hôpitaux de Paris (en janvier débutera la séquence des Pièces jaunes), Brigitte Macron est souvent confrontée à des moments douloureux. « Son agenda est rempli du matin au soir, elle n’arrête pas », atteste Anne Barrère, vice-présidente de la fondation, ancienne collaboratrice de Bernadette Chirac. « Brigitte Macron est une femme de terrain qui a la préoccupation des gens, des jeunes. Elle est arrivée en juin 2019 avec l’idée de renforcer l’aide aux ados en difficulté. Aujourd’hui, 125 maisons réparties en France leur sont consacrées. Ils peuvent s’y présenter sans rendez-vous pour trouver une écoute. Elle fait aussi beaucoup de visites dans les hôpitaux, notamment dans les services de pédiatrie. Au moment de la COVID-19, elle a souhaité que l’hôpital réserve un espace à ses soignants pour qu’ils puissent venir lâcher prise, faire des activités (yoga, hypnose…), se reposer, reprendre forces et courage. Ils lui en sont très reconnaissants. »
Elle sait parler à tout le monde, de manière naturelle, toujours attentive, à la fois grave et enjouée.
Anne Barrère, vice-présidente de la fondation des Hôpitaux de Paris
À l’hôpital des Invalides, elle ne manque pas de rendre visite à un pensionnaire célèbre, l’amiral de Gaulle. « On parle de l’actualité. Il est au courant de tout. Un homme très agréable. »
Jeudi dernier était la journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école. Sa grande cause, presque son obsession. Dès son arrivée à l’Élysée, elle y a travaillé avec le ministre Jean-Michel Blanquer, réputé pour être « son chouchou ». Première urgence, sortir de l’omerta et vite. Deux numéros téléphoniques gratuits ont été créés : le 3020 pour les victimes et les témoins de harcèlement, le 3018 réservé au harcèlement numérique. D’année en année, le programme s’étoffe, il a maintenant une dimension interministérielle.

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Harcelée... de fans. À l’occasion d’une visite au lycée Pierre-Gilles-de-Gennes, à Paris, sur le thème de la lutte contre le harcèlement scolaire, le 7 novembre.
En janvier dernier, mal renseigné, Fabien Roussel avait tancé la première dame. « Elle est coupée du monde, elle vit hors-sol à l’Élysée ou dans son palais à Brégançon. Elle ne connaît pas le peuple. » Et cela parce qu’elle s’était déclarée plutôt favorable au port de l’uniforme à l’école.
Certains dans la macronie notent qu’elle connaît mieux le terrain que son mari parce qu’elle écoute, elle ! « Lui, il écoute tout le monde et personne en particulier. Il est une éponge qui absorbe. »

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Dans le salon des Fougères qui est aussi son bureau à l’Élysée. Elle en a fait un lieu ouvert sur son temps. Avec le chien Nemo, le 10 novembre
On la retrouve à l’Élysée, dans son bureau qu’une tenture ancienne a fait nommer salon des Fougères. Tout le reste est moderne. Sur la cheminée, une robe de petite fille en coton froissé, d’Anselm Kiefer, un artiste allemand ami du couple Macron qui est allé lui rendre visite dans son atelier en région parisienne. Du même, ils ont reçu deux artichauts (des vrais), l’un plongé dans une peinture bleue, l’autre doré. Chacun est posé sur un socle de plastique aggloméré. Ils ornent une console.
« Je prépare mon cours sur le XVIIIe, le siècle des Lumières, la recherche du bonheur », me lance Brigitte Macron qui me montre une photo : elle, le jour de son mariage, entourée de ses trois enfants, un garçon et deux filles, souriants, beaux. Un quatuor solaire, heureux. Le message est transparent. « Ce jour-là mes enfants étaient de tout cœur avec moi… » Le bonheur, vous dis-je. Je l’interroge. Cela a-t-il été difficile pour vous d’installer votre rôle de première dame ?
Quand il a été élu la première fois, je me disais : “Comment vais-je faire ?” En vérité, on arrive, on ne sait rien. Personne ne m’a rien dit sur rien.
Brigitte Macron
« Les jupes trop courtes ? Je n’avais rien de long, poursuit-elle. On apprend en marchant. Je me plie à la discipline, je suis meilleure élève aujourd’hui que lorsque j’étais enfant. Mon père, qui m’appelait “Mai-68”, disait : “Avec Bibi, ça peut toujours exploser.” »
« Moins elle connaît les règles d’un monde, plus elle les étudie et les applique. Elle apprend très vite », constate Richard Ferrand.

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Elle garde un œil sur l’apprentissage. Classe de maitre avec l’Institut des vocations pour l’emploi, qu’elle préside. En 2020 à Clichy-sous-Bois.
« Diriez-vous que vous avez une certaine influence sur votre mari ?
— Nous sommes un couple normal. Il nous arrive de ne pas être d’accord. J’ai l’influence qu’une femme peut avoir sur son mari. Ou c’est trop, ou c’est rien. Le fait qu’il soit président n’a rien changé. Sauf que nous sommes dans l’actualité. C’est notre quotidien. Quand je le sens disponible, je pose des questions et lui dis ce que je pense. Lui sait ce que je fais à toute heure du jour. Quand je suis en interaction avec des ministres, je le lui raconte. Idem avec les épouses des chefs d’État. Des associations, des gens me font passer des messages. Je ne censure pas, c’est lui qui fait le tri.
— Donc vous déjeunez avec des ministres ? [Ce que ne faisait pas Bernadette Chirac.]
— Oui, avec Fadela Amara pour parler du handicap, avec Aurore Bergé de la violence faite aux enfants. Elle est tonique ! Avec Aurélien Rousseau, le ministre de la Santé, et Gabriel Attal, qui s’est emparé de la cause du harcèlement. Jean-Noël Barrot qui s’occupe du numérique, et Rima Abdul-Malak, de la Culture. Mais je n’ai pas de goût pour la politique. Les gens disent que je suis une femme politique, mais d’où sortent-ils ça ? [On la sent agacée.] » Pas politique, vraiment ?
« Bien sûr Brigitte fait partie de l’aventure collective, reconnaît Jean-Michel Blanquer, qui l’a si souvent côtoyée. Mais elle ne se mêle pas des décisions de son mari. Elle est très claire dans ses convictions, dotée d’un grand bon sens, jamais péremptoire, humble même. Avec moi, les échanges étaient toujours très agréables, très humains. Elle rapporte à son mari ses impressions de terrain. Mais l’écoute-t-il ? » Voire !

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Un bureau conçu par la designer Matali Crasset pour le Mobilier national. Brigitte l’a choisi en 2017.
La nomination de Pap Ndiaye au ministère de l’Éducation nationale ? Elle n’était pas au courant. Ce choix l’a perturbée. Dans un autre ordre d’idées, que pense-t-elle lorsque son mari tutoie le pape François au risque de choquer beaucoup de catholiques ? « Je ne suis pas présente lorsqu’ils sont en tête à tête. » Et d’ajouter : « J’étais beaucoup plus émue de le voir assister à la messe à Marseille qu’au Vatican. »
Savez-vous que lorsque le pape est en avion au-dessus de la France, il nous envoie un message ?
Brigitte Macron
« Brigitte possède un art de l’esquive très abouti. Quand elle ressent une gêne, elle passe à un autre sujet, elle botte en touche », admire Richard Ferrand qui la connaît bien.
Bernadette Chirac racontait que, pour faire passer un message à son mari, c’était le matin dans la salle de bains…
« Moi, si j’ai quelque chose à dire à Emmanuel ce n’est jamais le matin. On est seuls pour le petit déjeuner que je lui prépare. C’est un moment où il ne fait jamais la tête. Ce qui peut lui arriver le soir… Même s’il a un caractère positif. Quoi qu’il fasse, il voit le bon côté des choses.
— À quelle heure dînez-vous ?
— Toujours entre 22 et 23 heures.
— C’est tard, non ?
— S’il a quelque chose à faire, il le finit. Il prend toujours le temps de faire ce qu’il veut faire. [Ce qui sous-entend qu’elle l’attend pendant des heures.] Nous dînons très léger, toujours. Quelquefois je fais la cuisine. Il y a des recettes faciles sur Marmiton. Emmanuel adore les œufs à la coque. » Rien de plus facile en effet… Brigitte ne précise pas si elle beurre ses mouillettes.
Le président est un homme qui travaille tout le temps. « Le week-end, nous allons à la Lanterne. Il fait ses courriers. Tous ses appels. On lui apporte des tonnes de parapheurs [preuve qu’il décide de tout]. Nous faisons notre agenda à deux, entrons en négociation. Nous décidons si je l’accompagne ou non dans ses déplacements. Moi aussi j’ai mon emploi du temps ! Ensuite, on va marcher. Deux fois par semaine, il fait 45 minutes d’entraînement, d’échauffement, de la boxe pour le gainage. Être à l’Élysée est une course de fond.
— Il dort toujours aussi peu ?
— Il n’aime pas s’endormir. Sa grand-mère, Manette, me le disait : « Petit, il était déjà comme ça. » Ce qu’il fait de mieux, ce sont les microsiestes. Un soir, il est arrivé très fatigué. Nous allions dîner avec Richard Ferrand à l’Assemblée nationale. Il a dormi dans la voiture [un trajet d’à peine 2 kilomètres.] Eh bien, en arrivant il était requinqué.
— Un surhomme ?
Depuis 27 ans que je le connais, il n’y a pas un jour où il ne m’ait étonnée. Je n’ai jamais vu une mémoire pareille, visuelle, auditive. Une telle capacité de stockage intellectuel. J’ai eu beaucoup d’élèves très brillants, aucun n’avait ses capacités. Je l’ai toujours admiré.
Brigitte Macron
Leur histoire a commencé sur les bancs de l’école, on le sait. « C’était le bazar dans ma tête. Au moment de la mort de mon père, j’étais prise dans un ouragan intérieur. Pour moi, un garçon si jeune, c’était rédhibitoire. Emmanuel devait partir à Paris. Je me suis dit qu’il allait tomber amoureux de quelqu’un de son âge. Ce n’est pas arrivé. De mon côté, je n’ai plus jamais fait de théâtre à La Providence… Le seul obstacle était mes enfants. J’ai pris du temps pour ne pas saccager leur vie. Ça a duré 10 ans ; le temps de les mettre sur les rails. Vous imaginez ce qu’ils ont entendu… Mais moi je ne voulais pas passer à côté de ma vie. Je ne sais pas comment mes parents, qui étaient l’exemple de la fidélité, de l’éducation, auraient vécu notre mariage. “Papa, là-haut, regarde Paris Match !” ironisaient mes frères et sœurs. J’étais leur petite dernière, un raté de la méthode Ogino. »
« La première fois que j’ai rencontré Joe Biden, il m’a demandé : “Vous avez dit oui tout de suite quand Emmanuel vous a demandée en mariage ? Moi j’ai dû demander plusieurs fois.” »
En anglais, Brigitte Macron n’a pas besoin d’interprète. « Où le président l’a-t-il appris ? C’est la langue de banquier d’affaires… » Méthode Assimil version Rothschild ?
« On arrive à créer un lien avec les épouses des présidents ?
— Avec beaucoup, il y a la distance protocolaire, mais avec certaines… des affinités. On s’envoie des textos, elles demandent à venir prendre le thé lorsqu’elles passent à Paris. Mme Erdogan est très amicale, Jill Biden, extrêmement ouverte, agréable. On peut se dire beaucoup de choses. Melania Trump est très douce. Mais elle a de l’ascendant sur son mari. Lorsque, dans un dîner, elle tape sur sa montre, son mari comprend qu’il est temps de se lever et de partir. Et il obtempère. Elle a une forte personnalité.
— Et la reine Camilla ?
— Je l’ai connue en juin 2021 à la réunion du G7 dans les Cornouailles. C’était très peu de temps après la mort du prince Philip. Nous étions tous étonnés de voir arriver la reine Elizabeth, si fragile, si menue, avec un mot pour chacun d’entre nous. Je l’admirais. Avec Camilla, on s’est tout de suite parlé. On s’est dit qu’on était contentes de se connaître. Lorsque le couple royal est venu en visite officielle à Paris, j’étais inquiète. Mais, dès leur arrivée à l’Arc de Triomphe, quand Camilla est sortie de la voiture et m’a embrassée, ils ont donné le « la ». À Saint-Denis, les gens criaient « Vive le roi ». Lui est très policé, très cultivé, très drôle. Ce qui les résume tous les deux, c’est la délicatesse. Leur visite a eu un grand retentissement international. À Versailles, ils étaient le Roi et la reine. Le jeudi soir, ils sont venus prendre l’apéritif à l’Élysée, car ils dînent peu. Nous étions tous les quatre. Un moment merveilleux. Là, ils étaient Charles et Camilla. Le lendemain, ils partaient pour Bordeaux. Le Roi porte un amour inconsidéré à sa grand-mère.
— Comme Emmanuel à la sienne, Manette.
— Quand il est sorti de l’Ena inspecteur des finances, il est parti six mois au Nigeria, à l’ambassade. Des mois qui l’ont passionné. Il a adoré la diplomatie. Il me disait : « Occupe-toi de Manette. » Il lui téléphonait tous les jours.

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Avec Catherine Nay, à l’Élysée fin octobre.
— Lorsqu’il n’a plus souhaité être secrétaire général adjoint de l’Élysée, il voulait vraiment faire autre chose ?
— Nous sommes partis aux États-Unis pendant deux mois. Je voyais qu’il cherchait. Nous sommes rentrés fin août de la côte ouest, il est clair qu’on ne nous attendait pas. Quand, le dernier week-end d’août, j’ai entendu Montebourg moquer François Hollande, en lui envoyant sa « cuvée du redressement », j’ai dit à Emmanuel : « Je suis sûre qu’ils vont te rappeler. » Et le mardi, Hollande l’a appelé. Et il a été nommé ministre de l’Économie. Il y avait tellement de monde devant chez nous, cité Falguière, qu’il n’a pas pu rentrer à la maison ce soir-là. Et puis après, nous avons déménagé, je n’ai plus trop pensé. Je ne réalisais pas, tout s’est emballé.
— Quand vous étiez professeur, une vie comme celle que vous menez aujourd’hui vous aurait-elle fait rêver ?
— Je ne me posais pas de questions. J’ai adoré être prof. C’est une vocation que j’ai découverte par hasard, après la naissance de ma dernière fille, Tiphaine. J’ai commencé à Strasbourg, avec une classe de quatrième et une autre de seconde. Puis à Amiens, où j’étais prof de latin, de français puis de théâtre. Quand je sortais des cours, j’étais toujours interloquée par le bonheur que j’avais. Je ne sais pas pourquoi. La joie de transmettre.
Être un bon prof n’est pas une question de diplôme. J’ai toujours eu le sentiment que mes élèves me donnaient autant que je leur donnais. J’ai besoin de leur regard. S’ils ont le regard vide, on se dit que ça ne marche pas. Rien n’est plus désespérant.
Brigitte Macron
« Mais lorsque le cours est fini, quand ça sonne et que vous voyez vos élèves qui ne bougent pas, comme s’ils voulaient que le cours continue, alors là, c’est hyper-sympa. C’est la vie. J’ai parlé avec la mère de Samuel Paty. Elle me disait combien il préparait ses cours, le soin qu’il y mettait. Le souci qu’il avait de bien expliquer la laïcité. Il lui en avait parlé, il y avait travaillé tout un été. »
Il y a quelques mois, Brigitte me disait : « Mon contrat avec Emmanuel c’est cinq ans. » Or il va faire deux mandats.
« Dix ans c’est un pari de vie. Je suis portée par ceux qui me disent : “Tenez bon.” Ils ont peur que je ne tienne pas. Ils m’écrivent des lettres, des courriels. Ça oblige… Vous savez, j’ai voulu arrêter le latin en seconde. J’étais au Sacré-Cœur à Amiens, ma mère m’a accompagnée pour voir la mère supérieure qui m’a répondu : “Il n’en est pas question ma fille.” J’ai donc été contrainte. Je me suis dit : “Autant le faire de bon cœur.” Et, grâce à elle, j’ai pu être professeure de latin. Alors j’ai cette philosophie. Parfois le matin c’est un peu dur, mais je me dis : à partir du moment où j’y suis, je fais. »
Comme au temps où elle était au Sacré-Cœur !