Jamais sans son sac à main. Ni son sourire. L’horloge affiche 3 heures de l’après-midi et les vases débordent de fleurs estivales, mais la reine porte un cardigan et se tient près d’une flambée pour cet ultime portrait. Malgré sa faiblesse, et alors qu’elle est censée se reposer dans son cher Balmoral, elle a insisté pour recevoir Boris Johnson, qui quitte le pouvoir, puis Liz Truss, la nouvelle première ministre. Elizabeth s’éteindra le surlendemain. Jusqu’au bout, elle sera restée fidèle à sa promesse de servir le royaume. La reine est morte, vive le roi ! Mais qu’il est ardu de succéder à une telle icône !

Les transitions, fussent-elles royales, ne sont jamais simples. Il y a tout juste un an, le 8 septembre 2022, à 15 h 10 (heure britannique), la reine Élisabeth II, 96 ans, s’éteignait dans son château écossais de Balmoral. Depuis, l’affliction a laissé place à la nostalgie et, sous le regard de la crise sociale et énergétique, de l’inflation, phénomène mondial accentué par le Brexit, son règne de 70 ans apparaît comme un véritable âge d’or. En ce 8 septembre, les Britanniques auraient dû célébrer la première année de l’accession au trône de Charles III, mais la plupart, à commencer par le premier concerné, ont préféré commémorer le passé. « À l’occasion du premier anniversaire de la mort de feue Sa Majesté et de mon accession, nous nous souvenons avec une grande affection de sa longue vie, de ses services dévoués et de tout ce qu’elle représentait pour beaucoup d’entre nous. Je suis également profondément reconnaissant pour l’amour et le soutien qui ont été manifestés à ma femme et à moi-même au cours de cette année, alors que nous faisons tout notre possible pour être au service de vous tous », déclare notamment le Roi dans un communiqué.

À Londres, où la foule s’était rassemblée devant ­Buckingham Palace, ont résonné une centaine de coups de canon : 41 tirés par la Royal Horse Artillery de la King’s Troop et 62 autres depuis la Tour de Londres. Les cloches de l’abbaye de Westminster ont ajouté leur musique à ces percussions. Harry, duc de Sussex, de passage dans la capitale ce jour-là, a choisi de se recueillir sur la tombe de ses grands-parents, à la chapelle Saint-Georges de  Windsor. Il ne risquait pas d’y rencontrer son frère, ­William. Le prince et la princesse de Galles étaient, eux, dans l’ouest du pays de Galles, cathédrale de Saint David’s. Un service privé d’une dizaine de minutes était célébré dans le cloître en présence du clergé, de la chorale et d’une poignée d’invités. Au moment de déposer son bouquet devant le portrait de la reine, la princesse de Galles semblait submergée par l’émotion.

Les hommages se sont succédé dans tout le pays, ­suivis de leur lot de souvenirs. « Avec un an de recul, l’ampleur du service rendu par feue Sa Majesté ne semble que plus grande… Et notre gratitude […] ne fait que croître », a déclaré le premier ministre, Rishi Sunak, avant d’évoquer sa rencontre avec Élisabeth II et ce qui l’avait particulièrement frappé : « Sa sagesse, son incroyable chaleur, sa grâce, mais aussi la vivacité de son esprit. Les gens à ­travers le Royaume-Uni – qu’ils aient eu la chance de la rencontrer ou non – réfléchiront aujourd’hui à ce qu’elle représentait pour eux et à l’exemple qu’elle nous a donné à tous. » Mêmes trémolos dans la voix de Liz Truss, la dernière et brève première ministre, ­accueillie par la reine à Balmoral, le mardi 6 septembre. « Elle tenait vraiment à me rassurer sur le fait que nous nous reverrions bientôt. C’était très important pour elle. Elle était très déterminée à faire son devoir, jusqu’au bout. » Le lendemain, la reine devait reporter une visioconférence prévue avec ses conseillers privés. Un porte-parole annonçait alors qu’elle avait accepté de se reposer comme le lui avaient recommandé ses médecins. Les nouvelles sont alors assez mauvaises pour que son fils comprenne qu’il faut se précipiter. Le prince Charles arrive en hélicoptère le matin du 8. Il presse ses deux fils de le rejoindre, d’abord William, qui atterrit à Aberdeen à 15 h 50, et Harry, mais plus tard. Le prince apprendra la mort de sa grand-mère pendant le vol, cinq minutes avant le communiqué officiel.

  • Le roi Charles et Camilla à la sortie de l’église de Crathie, la paroisse écossaise de la famille royale, où un service a eu lieu en hommage à Elizabeth II.

    PHOTO PARIS MATCH

    Le roi Charles et Camilla à la sortie de l’église de Crathie, la paroisse écossaise de la famille royale, où un service a eu lieu en hommage à Elizabeth II.

  • Un 8 septembre chargé en émotions. Acclamé à son arrivée à la cathédrale de Saint David’s, au pays de Galles, le couple princier s’est recueilli devant le portrait de la reine, où la princesse de Galles a déposé un bouquet. « Vous nous manquez à tous ! » ont écrit William et Kate sur leurs réseaux sociaux.

    PHOTO PARIS MATCH

    Un 8 septembre chargé en émotions. Acclamé à son arrivée à la cathédrale de Saint David’s, au pays de Galles, le couple princier s’est recueilli devant le portrait de la reine, où la princesse de Galles a déposé un bouquet. « Vous nous manquez à tous ! » ont écrit William et Kate sur leurs réseaux sociaux.

  • Sans Meghan, en tenue informelle et en toute discrétion. Le prince Harry, lors d’un passage éclair en Angleterre en chemin pour les Invictus Games de Düsseldorf, est aperçu à la chapelle Saint-Georges de Windsor, où reposent ses grand-parents… et où il s’est marié cinq ans plus tôt.

    PHOTO PARIS MATCH

    Sans Meghan, en tenue informelle et en toute discrétion. Le prince Harry, lors d’un passage éclair en Angleterre en chemin pour les Invictus Games de Düsseldorf, est aperçu à la chapelle Saint-Georges de Windsor, où reposent ses grand-parents… et où il s’est marié cinq ans plus tôt.

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Ce n’est donc pas un hasard si Charles III et la reine Camilla ont choisi, un an après, de se rendre pour « un moment de réflexion et de prières privées » à l’église de Crathie, la paroisse des Windsor, près du château de Balmoral, où la reine avait assisté à tant de ­services. Il semble maintenant qu’elle a choisi de mourir dans le lieu qu’elle aimait le plus.

Parmi les nombreux témoignages publiés par la presse britannique, il y a celui, étonnant, du Très Révérend Iain Greenshields, membre de l’Église presbytérienne d’Écosse, un de ses derniers invités à Balmoral, pendant quelques jours de l’ultime été. Dans les colonnes du Daily Mail, le Dr Greenshields raconte à Catherine Pepinster une série de conversations en tête à tête. Il n’y avait à Balmoral que six ­personnes présentes : la reine, sa fille, Anne, la princesse royale, avec son époux, le commandant Timothy Laurence, Sophie, alors ­comtesse de Wessex, John Warren, l’entraîneur de chevaux et ­directeur des courses de la reine, et l’homme d’Église. Contrairement à ce qui a été dit, Harry n’avait pas été invité. La reine parlait de sa foi et de son amour pour l’Écosse, et Balmoral en particulier. « À un moment donné, elle s’est dirigée vers la fenêtre et a demandé : “Qui ne ­voudrait pas être ici ?” Elle se trouvait dans un endroit très ­paisible et privé. »

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Quelques semaines avant sa mort, devant le cottage Inchnabobart, près du loch Muick, à Balmoral. L’un de ses deux corgis porte d’ailleurs le nom de ce cours d’eau.

Si sa santé était fragile, se ­souvient-il, « je l’ai trouvée à la fois vive mentalement et contemplative, préoccupée en particulier par sa foi et celle de son père, George VI. C’était son année de jubilé de ­platine et elle regardait en arrière. Sa mémoire était remarquable. Elle n’avait aucun regret et était vraiment en paix. Elle a mentionné son père et la grande influence que sa foi avait eue sur elle. » Il témoigne que la reine Elizabeth était certes par son ­statut « gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre », mais que ses convictions religieuses auront constitué le fondement de son règne et qu’elle a toujours considéré sa vie et ses devoirs à travers le prisme de sa foi chrétienne, comme un véritable ­sacerdoce.

Il semble que cette foi soit restée intacte jusqu’au bout. À 27 ans, elle avait prononcé le serment de « servir jusqu’à mon dernier souffle, que ma vie soit longue ou courte », et reçu l’onction de l’archevêque de Canterbury. Devenue reine sacrée, Élizabeth II avait fait don de sa vie à la nation britannique, lui sacrifiant tout et d’abord, peut-être, sa vie de famille.

Un an après son avènement, quatre mois après le couronnement qui a contribué à asseoir sa légitimité royale, Charles ­III ne peut prétendre avoir l’aura de sa défunte mère. Mais peut-on succéder à un tel monument ? On raconte que d’aucuns continueraient à chanter le « God Save the Queen » et non « the King » : erreur d’inattention ou ­provocation intentionnelle ? Pour certains, il resterait l’ex-mari de l’iconique princesse Diana ; pour d’autres, un roi septuagénaire, trop âgé pour susciter l’adoration des foules. La mort de la reine a même libéré la boîte de Pandore des tentations sécessionnistes, à la fois dans le Commonwealth et au sein du Royaume-Uni. Elle a aussi réveillé les ardeurs de quelques opposants à la monarchie. Malgré tous les efforts de Charles III pour rapprocher l’institution royale du peuple, son ambition de la rendre plus sobre, plus économe des deniers publics, il ne suscite pas la même adhésion populaire.

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L’aïeule de 96 ans et une partie de sa descendance (de gauche à droite et du 1er au 3e rang) : ses arrière-petits-enfants Mia, avec le bébé Lucas, Savannah, Lena, George, Charlotte, Isla, Louis, et ses petits-enfants Louise et James. À Balmoral durant l’été 2022.

Pourtant, il n’hésite pas à aller au contact, à abolir les ­barrières. À ­chacun de ses déplacements, il y a certes les admirateurs ­habituels venus l’acclamer, mais souvent des manifestants brandissant des pancartes « Not my King » (« Pas mon roi »). D’ailleurs, ­Graham Smith, leader du mouvement Republic, affirme gagner des adhérents. Leur nombre a effectivement plus que ­doublé depuis l’avènement de Charles III, mais il ne devrait pas atteindre 10 000 membres d’ici à Noël. Trois Britanniques sur cinq (62 %) continuent de dire que le Royaume-Uni doit continuer à avoir une monarchie. Et une large majorité (58 %) pense que l’institution est « bonne » pour le pays. Ce n’est pas une mauvaise ­statistique alors que l’année écoulée a non seulement vu la mort de la reine Élisabeth II, mais aussi la diffusion du documentaire du duc et de la duchesse de Sussex sur Netflix ainsi que les révélations encore plus intimes de Harry dans son autobiographie Le suppléant. Peut-on ­imaginer plus ­préjudiciable à la Couronne ? 59 % des Britanniques pensent que Charles fait du bon travail en tant que roi, 17 % estiment le contraire.

Reste que son plus grand défi sera de conquérir la ­prochaine génération. L’enquête YouGov révèle ­également que seulement trois personnes de 18 à 24 ans sur 10 (30 %) pensent que la monarchie est bonne pour le pays, ce qui est le cas des trois quarts (77 %) des ­personnes de 65 ans et plus. Si 80 % de ces ­derniers estiment que la Grande-Bretagne doit continuer à avoir une monarchie, cette proportion ­diminue avec l’âge pour finir avec seulement 37 % des 18-24 ans…

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE INSTAGRAM DU PRINCE ET DE LA PRINCESSE DE GALLES

la famille royale est très active sur les réseaux sociaux avec ses 15 millions d’abonnés. Sur cette photo, Kate félicite les Anglais après leur victoire contre l’Argentine à la Coupe du monde de rugby, à Marseille, le 9 septembre.

Comment séduire la jeunesse en pleine crise sociale et économique ? Le roi Charles, qui a ­pourtant été le premier, il y a déjà ­50 ans, à défendre ­l’écologie, la ­biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique, doit d’urgence convaincre de l’utilité de ce royal cement au-dessus des ­partis. Un ciment qui fédère les différentes communautés ­ethniques, ­culturelles, religieuses. Est-ce le régime qui est en crise ou la foi en l’avenir ? Le roi Charles, en visite en France dans quelques jours, garde ­plusieurs atouts. Ils ont notamment les visages du prince et de la princesse de Galles, et ­surtout de leurs enfants. George, Charlotte et Louis, ­photographiés par leur mère, Kate, sont devenus en quelques mois des héros d’Instagram. Très active sur les réseaux sociaux avec ses 15 millions d’abonnés, la famille royale a reçu une mission : séduire la jeunesse.