Les cours de la Bourse aux États-Unis ont retrouvé leur niveau de mai 2008, antérieur à la débâcle financière, et le niveau de la production vient de dépasser ce qu'il était avant la récession. L'emploi reste à la traîne, mais au sortir d'une crise, il est constant que les employeurs attendent la consolidation de la reprise avant de recruter.

Et toute récession est également propice à des gains de productivité: souvent, c'est au creux de la conjoncture que se manifestent l'innovation et la destruction créatrice. Microsoft est née au coeur de la dépression de 1974; cette fois-ci, Groupon et le iPad.

Comme en économie, il est à peu près impossible de prévoir, on ne prophétisera pas au-delà. Mais soulignons combien cette crise a confirmé les caractéristiques constantes - psychologiques, politiques autant qu'économiques - du capitalisme.

Dès que la croissance s'interrompt, des cohortes d'augures annoncent la fin du modèle occidental et l'urgence de le remplacer soit par le bon vieux socialisme d'État, soit - nouvelle mode - par un capitalisme autoritaire à la chinoise. En France, en 2008-2009, le portrait de Karl Marx ornait la couverture des magazines prétendument sérieux.

Puis est venu le tour des keynésiens, que l'on n'entend jamais en phase de croissance où ils devraient logiquement inviter à accumuler des surplus budgétaires. Dès l'amorce de la crise de 2008, ces keynésiens ont exigé que l'État se substitue au secteur privé défaillant. Ils ont été d'autant plus écoutés que les politiciens élus ont trouvé là le sentiment de faire quelque chose plutôt que rien: ce qui satisfaisait l'attente de l'opinion publique.

De ces stimulations par la dépense publique, il ne reste en fin de cycle qu'une dette publique majeure. Soit les États peuvent la financer aisément, ce qui est le cas des États-Unis, à taux bas parce que le monde entier veut des dollars américains. Soit les États sont écrasés par la dette, cas de certains pays d'Europe en qui le marché n'a pas confiance: là, la politique keynésienne n'aura que retardé la sortie de la crise en y additionnant l'austérité.

Il est constant aussi qu'en temps de récession mondiale, les États-Unis en sortent les premiers: ceci n'est pas dû à des politiques économiques particulièrement clairvoyantes, puisque, à la suite des différents G20, à peu près les mêmes ont été suivies bêtement dans le monde entier. Le regain américain - ou sud-coréen et bientôt japonais - doit aux ressorts profonds de ces sociétés: esprit d'entreprise, passion pour l'innovation, acceptation de la création destructrice, flexibilité du marché de l'emploi.

En somme, les institutions, l'histoire longue, les traditions s'avèrent plus décisives que des politiques économiques qui, peut-être, ne servent à rien ou dont l'efficacité n'a jamais été prouvée, ni empiriquement, ni scientifiquement.

Ainsi, en Europe, on s'interroge sur le relatif succès allemand: il tient pour l'essentiel à la structure décentralisée du capitalisme, allemand, des milliers d'entreprises moyennes, de haute technicité, flexibles et adaptables à la demande mondiale. La France, à l'inverse, est dominée par un nombre restreint de géants industriels liés à l'Etat, de toute éternité: leur agilité est moindre au Sud de l'Europe, la flexibilité du marché du travail (Espagne, Grèce, Portugal, Italie) est quasi nulle et le nombre d'entreprises indexées sur le marché mondial, très modeste.

Cette histoire longue en économie est sous-estimée par les économistes, les commentateurs et les politiciens parce que seul ce qui est visible et instantané retient l'intérêt. Pourtant, comme le disait Raymond Barre, les seules bonnes politiques économiques sont celles qui durent longtemps: avec humour, il ajoutait que mieux valait une mauvaise politique qui dure qu'une bonne qui ne dure pas. Car les entrepreneurs s'adaptent pourvu que les gouvernements ne changent pas incessamment la règle du jeu.