Comme beaucoup, c'est avec un certain étonnement que j'ai pris connaissance de la déclaration d' «appui» de Justin Trudeau à l'indépendance du Québec. Mais dire qu'il s'agit là d'un appui, même conditionnel, à la souveraineté, c'est ne pas comprendre la pensée de Justin Trudeau. En fait, je ne serais pas surpris que beaucoup d'indépendantistes se soient reconnus dans cette déclaration.

Pour beaucoup de souverainistes, l'indépendance est un moyen et non une fin. Par exemple, je ne voudrais pas de l'indépendance si c'était pour bâtir un pays sur le modèle américain ou cubain. Je préférerais vivre dans un Canada progressiste et socialement responsable que dans un Québec souverain qui calquerait le Texas.

Au fond, Justin Trudeau ne dit pas autre chose: le fédéralisme est un moyen, pas une fin. Ce qui compte, ce sont les valeurs: la démocratie, le respect de droits et libertés, la tolérance et la justice sociale. Et sa déclaration n'est pas sans rappeler ce qu'écrivait un autre Trudeau:

«Je n'accorde pas une valeur absolue et éternelle aux structures politiques et aux formes constitutionnelles des États... À l'exception de quelques grands principes qui doivent être sauvegardés, tels la liberté et la démocratie, le reste doit être adapté aux circonstances historiques, aux traditions, à la géographie, aux cultures et aux civilisations.» (Pierre Elliott Trudeau, Le fédéralisme et la société canadienne-française, 1967)

La déclaration de son fils Justin a sans doute semé tant d'émoi parce que le débat québécois entre fédéralisme et indépendantisme repose largement sur un malentendu historique. Souvent, ce qui oppose les deux camps, ce n'est pas tant leur option constitutionnelle que leur conception de la société.

Les fédéralistes mettent davantage l'accent sur les droits individuels, ce qui explique leur affinité naturelle avec le monde des affaires, les minorités linguistiques ou culturelles. Les indépendantistes, de leur côté, mettent davantage l'accent sur les droits collectifs, ce qui explique leur affinité naturelle avec les syndicats, les entreprises sociales, le monde artistique et les défenseurs de la langue française. Mais les deux partagent généralement une vision moderne et progressiste de l'État qui s'oppose profondément à une vision traditionnelle, comme celle qu'avait Duplessis et qui reposait sur la patrie, la famille et la religion.

Si, de 1960 à 2000, le débat a pu se faire sans que le malentendu ne pose problème, c'est qu'il n'y a pas eu de gouvernement, ni à Québec, ni à Ottawa, pour défendre une vision traditionnelle et conservatrice de l'État. C'était un débat de gens pour qui, fondamentalement, l'État était un outil de progrès. Il s'agissait «seulement» de définir la meilleure forme d'organisation politique pour atteindre certains grands objectifs politiques. Mais ces grands objectifs étaient partagés autant par les fédéralistes que les indépendantistes.

Aujourd'hui, alors que nous sommes gouvernés par un gouvernement fédéral qui se drape de morale, chrétienne-évangélique le plus souvent, et de symboles de l'autorité, comme des armes et des couronnes, le malentendu se révèle. Et révèle un problème pour ceux qui s'opposent aux politiques conservatrices: des gens qui partagent les mêmes valeurs, qui devraient travailler dans la même direction, se retrouvent dans des camps opposés et se font des crocs-en-jambe.

Pour le meilleur ou pour le pire, le débat politique a pris, particulièrement depuis l'élection d'un gouvernement conservateur majoritaire, une tournure qui nous ramène aux temps où s'opposaient une vision traditionnelle de l'État, plutôt nationaliste et paternaliste, et une vision moderne, plus humaniste, progressiste et démocrate.

À ceux que ce changement inquiète, il serait peut-être bon de rappeler l'exemple de Cité libre dans les années 50, quand Gérard Pelletier et Pierre Eliott Trudeau travaillaient aux côtés de Pierre Vadeboncoeur et René Lévesque afin de mettre fin à ce que l'on a nommé la Grande noirceur.