Au cours des derniers mois, le discours politique dominant martèle l'importance de parvenir à l'équilibre budgétaire le plus rapidement possible, que ce soit à Ottawa ou à Toronto où vient de paraître la semaine dernière le rapport Drummond. À cet égard, le gouvernement Harper s'apprête à sabrer de 5%, voire 10%, les dépenses des ministères et organismes fédéraux, représentant des économies estimées entre 4 et 8 milliards de dollars annuellement, qui entraîneront vraisemblablement la disparition de milliers d'emplois.

Pourtant, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer ces coupures qui s'annoncent aussi draconiennes que précoces: au-delà de la contestation de l'opposition à la Chambre des communes ou encore de différents groupes sociaux, le gouvernement Harper a reçu dernièrement un avertissement pour le moins inaccoutumé de la part de deux des principales agences de notation financière, Fitch et Moody's, qui craignent que ces restrictions drastiques ne heurtent la croissance économique canadienne. Ce message est d'autant plus perturbant que ces agences exhortent habituellement les gouvernements à restreindre davantage leurs dépenses afin de parvenir à des seuils d'endettement jugés raisonnables.

En effet, le déficit annuel fédéral régresse sensiblement depuis les deux dernières années et la dette, quoique que croissante depuis la crise économique, demeure à un niveau fort raisonnable en comparaison avec celles des autres pays membres du G8 (ratio de la dette nette au produit intérieur brut en 2010: Canada: 33,2%; Allemagne: 57,6%; Royaume-Uni: 67,7%; États-Unis: 68,3%; France: 76,5%; Italie: 99,4%; Japon: 117,2% (selon le FMI). Le gouvernement canadien utilise même ces données favorables pour faire la promotion du pays auprès d'investisseurs étrangers (investiraucanda.gc.ca).

Ainsi, comment expliquer cette volonté d'agir aussi prestement et résolument? Cette détermination est-elle dictée par une logique pragmatique ou idéologique? Si la réelle motivation du gouvernement fédéral est de lutter efficacement contre le déficit et réduire subséquemment la dette publique, pourquoi s'est-il privé de revenus considérables à la suite des deux baisses consécutives du taux général d'imposition du revenu des sociétés , pourquoi engrange-il des dépenses colossales se chiffrant en milliards de dollars en sécurité publique et en matériel militaire?

Au-delà des orientations politiques du présent gouvernement, il faut davantage craindre la sous-estimation des impacts des décisions basées sur l'actuelle idéologie fiscale. Avec une reprise économique qui demeure fragile, au dire même des élites politiques et économiques, pourquoi risquer tant de conséquences potentiellement néfastes? Le gouvernement fédéral a investi (à reculons) près de 60 milliards de dollars afin de stimuler l'économie nationale au plus fort de la dernière crise économique, mais il serait prêt à saborder ces efforts afin de redresser, coûte que coûte, une situation fiscale loin d'être une tragédie grecque.