Une étape a été franchie dans la campagne présidentielle française avec ce que les observateurs ont appelé la «droitisation» de Nicolas Sarkozy.

Celui-ci avait d'abord, à partir de 2002-2003, proposé un discours complexe, contradictoire, conjuguant divers éléments d'ouverture ou de modernisation, et une thématique plus conservatrice. Il avait par exemple annoncé la nomination d'un préfet musulman, et donc une politique que les Français qualifient de «discrimination positive» - traduction de l'affirmative action américaine. Il avait plaidé pour que le mot «diversité» soit introduit dans le préambule de la Constitution, et créé un poste de commissaire à l'égalité et à la diversité - ceci pour l'ouverture.

Il avait aussi, au cours de sa campagne de 2007, annoncé que l'identité nationale bénéficierait d'un ministère, ce qui témoignait à l'opposé d'un tropisme vers sa droite.

Mais l'ambivalence, ou l'incohérence, a ces derniers temps semblé céder la place au durcissement idéologique, dans un sens qui flatte l'électorat du Front national. Le 5 février dernier, une déclaration du ministre de l'Intérieur, vite relayée par d'autres ministres, a suscité une vive polémique, en mettant en avant la supériorité supposée de la civilisation française et en prêtant à la gauche une «idéologie relativiste».

D'autres éléments de discours du côté du pouvoir ont mis en cause les chômeurs, les migrants, et autres coupables d'abuser ou de ne pas respecter les valeurs de la France - des thèmes très forts dans l'extrême droite.

Cette «droitisation» clive, entre la gauche et la droite, mais aussi en leur sein. À gauche, elle vise à mettre mal à l'aise les socialistes, par exemple plus divisés qu'on peut le croire à propos du vote des immigrés aux élections locales, annoncé dans son programme par François Hollande, et dénoncé par Nicolas Sarkozy. À droite, elle suscite des hésitations ou des réserves, par exemple de la part d'une partie de l'électorat de centre droit, qui ne se reconnaît pas dans le virage actuel.

C'est donc une tentative d'exacerber les clivages pour reprendre la main qui a été accentuée par le président avant qu'il ne se déclare candidat hier. Cette tentative a poussé le Front national à se «droitiser» lui-même un peu plus, et elle constitue à la fois une menace et un espoir pour le candidat centriste, François Bayrou. Une menace, parce que dans une situation politique hautement conflictuelle entre la gauche et la droite, l'espace pour se faire entendre se restreint. Un espoir, car une partie de l'électorat antérieur de Nicolas Sarkozy pourrait refuser sa dérive droitière et rejoindre le candidat centriste.

La droitisation de Nicolas Sarkozy s'explique, pour certains commentateurs, par un raisonnement tactique: le Front national, croirait-il alors, ne sera pas capable de réunir les 500 signatures d'élus dont sa candidate a besoin pour pouvoir se présenter, et dans ce cas, il pourrait récupérer au premier tour une large part de l'électorat frontiste. Mais au deuxième tour, les sondages continuent, y compris dans ce scénario, d'accorder une avance substantielle à François Hollande.

Rien ne dit que le FN échouera dans ses efforts pour obtenir ces 500 signatures, et le calcul droitiste de Nicolas Sarkozy apparaît hasardeux. Les plus récents sondages n'ont pas indiqué qu'une dynamique nouvelle ait été enclenchée par son récent affichage idéologique vers l'extrême droite. Du coup, il veille, dans son discours de candidat, et dans la constitution de son équipe, à corriger quelque peu l'image qui s'imposait dans les semaines précédentes.

Les oscillations du candidat Sarkozy ne doivent pas masquer la tendance lourde d'une évolution générale, qui consiste à flatter l'électorat d'extrême droite, elles donnent l'image d'un candidat en perdition.