Tous, riches ou pauvres, nous recevons davantage que nous ne donnons. Ensemble, nous sommes plus que la somme des parties. Les impôts ont beau avaler la moitié de la paie, les taxes gruger une bonne partie du reste, nous demeurons tributaires de la société dans laquelle nous vivons.

Si chaque génération devait se suffire tant au niveau des infrastructures que des services, l'ensemble des salaires ne réussirait pas à lui garantir l'essentiel. Nous vivons donc de la richesse accumulée par les générations précédentes, malgré les déficits récurrents et la dette faramineuse de nos gouvernements. Habitués à l'État providence, nous attendons et exigeons davantage de lui comme si le devoir moral appartenait aux autres, comme si la solidarité et la reconnaissance étaient une voie unique.

Même celui que nous qualifions de «self made man», souvent un travailleur acharné, même lui a une dette envers la société qui lui a permis de se réaliser. Sa compétence, qu'elle soit scolaire ou empirique, il la doit à une structure; ses employés sont passés par l'école et ses ouvriers spécialisés par une institution professionnelle. Dans son commerce, dans son usine, la fine pointe de la technologie, les retombées de la recherche en chimie, en physique, en biochimie, en génie, domaines tous largement subventionnés. Les routes, les infrastructures portuaires et aéroportuaires pour vendre, exporter son produit ou importer son équipement ultra-spécialisé afin de demeurer concurrentiel, il les doit à la coopération citoyenne.

Ajoutez à cela la kyrielle des programmes gouvernementaux qui maintiennent à bout de bras les entreprises et les régions dont l'économie repose sur les matières premières et l'agriculture, ajoutez toutes les subventions à la qualité de vie (loisirs, culture et environnement) afin d'attirer en régions les compétences nécessaires à sa survie.

C'est sans compter les réseaux de la santé et de l'éducation (physiothérapie, formation professionnelle et continue), les indispensables garderies (une autre façon de s'assurer une main-d'oeuvre qualifiée), la protection de la police et du système judiciaire, les lois du travail et de l'équilibre social. Se croire au-dessus de tout ça, c'est mordre le sein de sa mère et afficher un orgueil démesuré.

Même en santé, nous avons une dette envers la société. Chacun le sait, la maladie attend son heure. Les derniers mois de notre vie risquent de coûter cher à l'ensemble: des dizaines, parfois des centaines de milliers de dollars. Pour la majorité d'entre nous, ce malheureux événement représente l'essentiel des impôts de toute une vie.

La route existait avant nous, nous avons le devoir de l'entretenir et de la léguer en bon état. Sinon, ce n'est pas la peine de faire des enfants ni de s'émouvoir devant nos petits-enfants.

Une manière intelligente et généreuse d'y parvenir: le legs testamentaire. Autour de nous, bon nombre de fondations caritatives et d'organismes bénévoles à bout de souffle répondent aux urgences. Ce serait une marque tangible de reconnaissance, une manière de passer de la parole aux actes.

Comme nous n'avons pas encore de véritable tradition philanthropique chez nos nantis, humblement, la solidarité populaire pourrait faire la différence pour nos organismes qui s'épuisent à ramasser des fonds afin d'assurer la pérennité d'un service pourtant jugé essentiel.

Ça n'empêche pas les vivants de donner, mais comme les morts n'apportent pas leurs biens en terre, c'est à eux que le geste coûte le moins. Si la Chambre des notaires et l'Ordre des comptables publiaient un fascicule explicatif ou en informaient systématiquement leurs clients, ils n'en serviraient que mieux la société à laquelle nous sommes tous redevables.

C'est une façon de partir sans verrouiller la porte derrière soi, une manière de donner une chance à la vie.