Le 5 janvier, l'ancien premier ministre de la Saskatchewan, Lorne Calvert, ajoutait son nom à une importante liste de ténors de l'establishment du Nouveau Parti démocratique qui appuient Brian Topp dans la course à la direction visant à trouver un successeur à Jack Layton.

M. Calvert emboîte ainsi le pas à Ed Broadbent, Roy Romanow et Yvon Godin, en se rangeant derrière ce natif de la rive sud de Montréal qui a une solide feuille de route dans les coulisses du NPD. Ce choix de l'establishment n'est apparemment pas au diapason de celui de la base du parti où Thomas Mulcair apparaît comme le favori des sondages.

Il faut espérer que ce choix ne soit pas symptomatique d'un establishment qui aurait mal tiré les leçons de certaines erreurs stratégiques qui expliquent la débandade du Parti libéral du Canada au Québec : des choix qui relevaient notamment d'un establishment libéral déconnecté de la situation politique au Québec.

Le déclin du PLC au Québec depuis le scandale des commandites n'est pas dû uniquement à des erreurs stratégiques de son establishment, mais certaines de ces erreurs ont participé à ce déclin. En décembre 2006, à la suite d'une course à trois, dont s'est retiré Gerard Kennedy en bout de piste, Stéphane Dion, un candidat associé à la loi sur la clarté référendaire, s'est faufilé de justesse devant Michael Ignatieff pour devenir chef du PLC. Ce choix était motivé davantage par une guerre de clans au sein du parti que par l'analyse du potentiel des candidats à inspirer et exercer un leadership à la tête du parti.

Aux élections de 2008, le PLC allait connaître un cuisant revers, notamment au Québec, où l'impopularité de Dion n'était pas le secret le mieux gardé des observateurs de la politique. Ce fut ensuite au tour de Michael Ignatieff de tenter sa chance à la tête du PLC. L'impopularité de celui-ci s'est avérée une constante d'un océan à l'autre.

Toutefois, le clan Ignatieff a commis une erreur stratégique qui explique en partie sa débâcle au Québec. En 2009, un conflit entre l'entourage de M. Ignatieff et celui de Denis Coderre, alors lieutenant du PLC au Québec, a éclaté au grand jour à propos du choix du candidat libéral d'une élection partielle dans Outremont. M. Coderre a dû battre en retraite et a démissionné de son rôle de lieutenant politique au Québec.

On peut aimer ou ne pas aimer le style populo-racoleur de Denis Coderre, mais aucun observateur de la scène politique québécoise ne sous-estime sa capacité à mobiliser des ressources et des réseaux dans la grande région montréalaise. C'était à cet égard une importante bévue du clan Ignatieff, piloté de Toronto, de rétrograder M. Coderre dans les ligues mineures. L'élection de Stéphane Dion en 2006 et cette bévue du clan Ignatieff sont au sommet d'une série d'erreurs qui n'ont pas aidé le PLC à mobiliser les ressources et réseaux dont il aurait eu besoin pour se reconstruire au Québec. Ces choix doivent être imputés en partie à un establishment déconnecté du terrain politique au Québec.   

Le choix des électeurs dépend de bien d'autres variables que du seul chef d'un parti politique, mais il y a des leçons à tirer des erreurs stratégiques des directions de parti. La situation actuelle du NPD au Québec n'a rien à voir avec celle du PLC en 2006, en 2009 ou en 2011. Le parti n'a pas à vivre avec le « fantôme des commandites » qui hante le PLQ ; la déclaration qu'il a adoptée à Sherbrooke en 2005 le place aux antipodes de l'intransigeance du PLC à l'endroit des revendications traditionnelles du Québec ; et il est maintenant le seul parti canadien à avoir une forte députation québécoise.

Dans le cadre de la présente course à la direction, le parti devrait toutefois se méfier des habitudes qui ont coûté cher aux stratèges libéraux. Brian Topp, qui a démissionné de son rôle de président du NPD pour se lancer dans la course à la direction en septembre 2011, a certes une feuille de route beaucoup plus impressionnante que celle de Thomas Mulcair au sein du NPD, mais il n'a aucune expérience comme parlementaire, il est peu connu au Québec, et il a très peu à voir avec la « vague orange » qui a permis au NPD de faire élire sa députation au Québec en 2011.

Les liens de fidélité qui conduisent aujourd'hui les ténors du NPD, Ed Broadbent, Roy Romanow et Yvon Godin, à appuyer ce candidat qui a voué ses 20 dernières années au NPD avant d'en devenir le président, sont compréhensibles. Toutefois, la leçon à tirer des erreurs stratégiques du PLC est que, en politique, les affinités électives des ténors d'un parti politique, aussi compréhensibles et justifiables soient-elles, ne devraient pas avoir préséance sur une politique pragmatique basée notamment sur l'expérience du terrain et sur la capacité à s'ajuster à de nouvelles circonstances.

Les membres du NPD feront face au choix difficile entre consolider sa base au Québec ou tenter d'étendre la vague orange  au reste du Canada. Dans un nouveau contexte où les sondages indiquent que le NPD ne peut rien tenir pour acquis au Québec, le choix de Thomas Mulcair est probablement le choix le plus pragmatique pour succéder à Jack Layton à la tête du parti. Ainsi, le NPD consoliderait sa base encore précaire et indiquerait aux électeurs québécois que leur appui n'est pas tenu pour acquis.