Au-delà de la légitimité des transfuges politiques, particulièrement ceux qui se joignent à la CAQ, tous s'interrogent sur l'avenir de cette coalition hybride, abritant des tendances contradictoires, qui menace de devenir un géant politique aux pieds d'argile.

Il est à craindre que la palette de couleurs étendue qui constitue son logo symbolise une diversité qui sera le tombeau inattendu de la nouvelle formation politique.

C'est plutôt facile d'attirer des députés déçus du leadership de leur chef, des leaders en devenir qui n'ont pas réussi lorsqu'ils auraient dû ou des politiciens qui voient une carrière personnelle au cheminement facile au sein d'une formation jeune, sans culture ni tradition. C'est avant tout séduisant de faire miroiter aux éventuels adhérents des sondages qui promettent l'ivresse du pouvoir. Il n'est pas dénué d'intérêt de souligner que les transfuges connus, dont la CAQ a bénéficié jusqu'à maintenant, ont eu l'occasion de humer le pouvoir suprême, à un moment ou à un autre, pour se voir frustrer de la jouissance de le déguster.

Le résultat est un regroupement hétéroclite dont on se demande bien ce qui en rassemble les preneurs. Le programme du nouveau parti, dont la tête sympathique est malheureusement dénuée de charisme, est embryonnaire et rassemble, par défaut d'essence et de principes philosophiques fondateurs.

Pour avoir connu l'époque de l'équipe du tonnerre, la fougue du RIN et les balbutiements du Mouvement Souveraineté Association, la fondation du PQ et suivi les amours interrompus de l'ADQ avec les Québécois, je doute de la capacité des dirigeants de la CAQ d'offrir un projet cohérent au peuple, défendu par une équipe crédible et unie.

On dit que François Legault cherche à recruter des fédéralistes pour colorer son arc-en-ciel. J'imagine un caucus préélectoral du parti réunissant une Marlene Jennings et quelques François Rebello discutant de la place du Québec dans le monde nord-américain et canadien. La direction de la CAQ et son chef peuvent bien prétendre que ce sujet est évacué des préoccupations des adhérents, cela restera toujours une prétention factice et peu crédible. La culture politique des Québécois de toutes allégeances est solidement alignée sur la question de l'appartenance du Québec au Canada et de son statut. Le beau risque et l'affirmation nationale sont morts nés.

C'est le cynisme des électeurs qui fait la force de séduction de la CAQ de François Legault. Ce pourrait être éphémère. Si j'étais stratège libéral, sur un sujet fédérateur, je concocterais un beau conflit majeur avec Ottawa et le gouvernement Harper (une cible honnie par excellence) en développant un crescendo d'indignation mobilisatrice bien québécoise, réglé dans le temps, culminant avec le déclenchement d'une élection générale.

Que ce soit l'actuel premier ministre ou un successeur, il aurait la partie facile. Comment François Legault et la CAQ peuvent-ils réagir d'une voix cohérente dans un tel scénario? Une impossibilité métaphysique. La force des personnalités qui feront la crédibilité d'un parti qui prétend au pouvoir le fera éclater. À moins qu'on avale des couleuvres. Ce qui est improbable.

Que ce soit Jean Charest, dont l'exceptionnel instinct politique n'est plus à démontrer, ou un successeur aux convictions nationalistes avérées comme Raymond Bachand ou Jean-Marc Fournier, le leader libéral pourrait bien alors trouver une tonalité de discours rassembleuse qui forcera les oppositions à se rappeler avec amertume les bons mots de Jacques Parizeau en chambre, en période de crise constitutionnelle, appelant feu Robert Bourassa «mon premier ministre» (du jamais entendu) et ajoutant: «Je vous tends la main.»

La prochaine année pourrait voir des rebondissements inattendus. Et les stratèges ne sont pas nécessairement branchés sur le bien public.