Chaque fois que je vais en Haïti, je reviens avec des sentiments bien partagés sur l'aide internationale, ses paradoxes et sa complexité. Pourtant, la majorité des gens que je rencontre au Québec semblent avoir une opinion bien arrêtée, sans nuances: il ne se passe rien en Haïti, les Haïtiens ne s'aident vraiment pas, il n'y a rien à faire pour aider ce pays.

Pour y avoir travaillé d'arrache-pied pendant près d'un an et avoir évalué le travail d'autres humanitaires et partagé mes réflexions avec des collègues haïtiens, il me semble qu'il faut réajuster certains préjugés.

Premièrement: il ne se passe rien en Haïti? Une des raisons qui expliquent ce sentiment, c'est que beaucoup de ce qui a été fait ne se voit plus aujourd'hui. Les cliniques mobiles de Médecins sans frontières ont donné leurs soins, l'eau potable d'Oxfam a été bue, les toiles protectrices de CARE ont été usées depuis longtemps par la pluie, le soleil et le vent. C'est la nature de l'aide humanitaire d'urgence de n'être que temporaire.

Tous les travailleurs humanitaires nationaux et internationaux travaillent encore d'arrache-pied pour construire des milliers d'abris, dits transitoires, qui dureront quelques années. Les centaines d'écoles ont été construites pour des milliers d'élèves qui y sont entrés en octobre dernier. Les milliers de latrines ont été creusées, souvent par les Haïtiens qui allaient en bénéficier, des cliniques donnent des soins, parfois de meilleure qualité que ce qu'il y avait auparavant.

Bref, tous ont aidé autant que possible à répondre au désastre et reconstruire grâce aux fonds qui ont été amassés. Rien ne bouge? Quelle farce! Je peux vous rassurer, beaucoup a été fait et continue d'être fait tous les jours.

Deuxièmement: les Haïtiens ne font rien pour leur pays? Les ONG internationales pour qui ils travaillent étaient déjà présentes en Haïti, pour la plupart avant le tremblement de terre, parfois depuis bien longtemps. Ces ONG ont d'international surtout leur siège et leur financement, mais elles sont ancrées dans le pays par tout le personnel qui joue, progressivement, un rôle plus important. Ces gens ont travaillé sans relâche depuis les premiers jours suivant le séisme.

J'ai encore en mémoire la détermination de ces Haïtiens qui ont travaillé sans arrêt et sans vacances malgré ce qu'eux et leur famille ont vécu. Je trouve très difficile de leur lancer la première pierre.

Les choses ne bougent pas toujours aussi vite qu'on le voudrait. On aimerait que le paysage ait changé, que le pays soit reconstruit, les débris ramassés, les maisons reconstruites, le gouvernement bien en selle. Mais non, ça prend plusieurs années, voire des décennies, à rebâtir un pays dont la capitale a été détruite et la moitié de la population affectée. Regardez La Nouvelle-Orléans... et beaucoup plus d'argent y a été investi. Haïti paie encore cher d'être le premier pays à se libérer du joug de l'esclavage et de la colonisation. Depuis, le pays souffre amèrement du chaos politique auquel les pays occidentaux sont intimement liés et qui a mené à un exode massif de son élite.

Je ne dis pas qu'il n'y a pas de responsabilités et de leçons qu'Haïtiens, humanitaires et donateurs ont à prendre et à apprendre. Il reste encore beaucoup à faire. Mais il ne faut pas s'impatienter pour que se termine la reconstruction.

Haïti bouge à son rythme, un rythme qu'on ne connaît pas. Nous ne sommes pas d'Haïti, nous ne sommes pas nés avec le rythme suave de sa danse compas. Si l'on s'invite pour une danse, il faudra aussi apprendre à se laisser guider. On peut ainsi peut-être savourer un peu plus ce partage d'humanité, nous en avons tous bien besoin.