L'année qui s'achève aura été un marqueur essentiel dans l'histoire de la liberté. Cette valeur a fait en 2011 des progrès tout aussi notables qu'en 1989, moment où le monde communiste s'est effondré. Et qui plus est, cette année, les femmes ont été et sont encore le fer de lance de ce formidable avancement.    

On le sait, tout a commencé en Tunisie l'an dernier lorsqu'un vendeur de légumes s'est immolé par le feu, exaspéré par les persécutions du régime en place. L'incident est presque passé inaperçu et semblait relégué à la chronique des faits divers. Erreur. Nous avons tous mal jugé l'affaire. Le chômage, la dictature, la corruption, la stagnation intellectuelle et sociale rongent les sociétés arabes. Malgré quelques îlots de prospérité, ces sociétés restent figées dans le temps alors que tout bouge autour d'elles. Et pourtant, la colère gronde depuis une vingtaine d'années: il ne fallait qu'une étincelle pour faire sauter ce baril de poudre. Le feu qui a brûlé le corps du jeune vendeur s'est répandu à vive allure. En moins d'un an, quatre régimes arabes ont été balayés - Tunisie, Égypte, Libye et Yémen -, d'autres - au Maroc, en Jordanie, à Bahreïn, à Oman, en Arabie saoudite - ont annoncé des réformes plus ou moins importantes. En Syrie, le régime Bachar al-Assad est en lutte contre une partie de sa population et vit sans doute ses dernières heures.

Ce grand vent de liberté a dépassé les frontières du monde arabe. Les Soudanais du Sud ont obtenu leur indépendance. Les régimes en place au Kirghizistan, en Birmanie, en Thaïlande, en Côte d'Ivoire ont été chassés ou ont été ébranlés par la contestation et ont dû jeter du lest. Même à Cuba les gérontocrates au pouvoir depuis l'éternité savent que la partie est terminée et qu'il est temps de libérer la parole et les énergies.

La liberté est une conquête difficile à maintenir. Il faut la soutenir tout en gérant au quotidien le retour à une vie normale et nécessairement décevante lorsque tout est à faire ou à reconstruire. Dans tous ces pays aujourd'hui libres, des moyens technologiques et financiers sont utilisés afin de répondre aux aspirations des peuples. Mais au-delà, il faut des hommes et, de plus en plus, des femmes pour insuffler l'espoir et dynamiser l'énergie libérée. Cette année, les membres du Comité du prix Nobel de la paix et du Prix Sakharov pour la liberté de penser ne s'y sont pas trompés en récompensant une majorité de femmes. Dans le premier cas, ils ont attribué le prix à la présidente du Libéria et à une de ses collègues pacifistes ainsi qu'à une activiste du Yémen. Dans le deuxième cas, deux des quatre lauréats sont des femmes: une activiste égyptienne et une avocate syrienne.

Ces prix sont une consécration, mais aussi de lourds fardeaux. Il faut en être à la hauteur tant ils suscitent d'espérances. Qui mieux que la dissidente birmane Aung San Suu Kyi les a portés avec courage et détermination. Exactement vingt ans après avoir reçu le Nobel de paix, elle vient d'être complètement libérée et pourra participer aux prochaines élections.

Si la liberté a fait de grands pas cette année, il faut éviter le triomphalisme. Dans l'ex-monde communiste, les anciens apparatchiks ont profité des ratés de la démocratie et des difficultés de la vie quotidienne pour imposer un nouvel autoritarisme en Russie, au Bélarus et dans certaines républiques d'Asie centrale. En Égypte, rien n'est encore joué. En Irak, une nouvelle dictature émerge sur les ruines laissées par les États-Unis. Au Maroc, en Tunisie et en Libye, l'arrivée au pouvoir des islamistes soulève des questions sur leur attachement aux libertés.

Pour autant, ne boudons pas notre plaisir: 2011 a été une grande année pour la liberté.