Beaucoup ont été séduits par le dernier film de Steven Spielberg mettant à l'écran les aventures de Tintin. Après de nombreuses tentatives infructueuses, ce film rencontre enfin les exigences de plusieurs tintinophiles. Les images qu'il nous fournit ont en effet quelque chose d'extraordinaire.

Par contre, d'autres parmi nous, bien qu'émerveillés par l'imagerie informatisée fabuleuse mise en scène par Spielberg, sont encore restés sur leur faim. Le film ne leur a pas procuré tout le plaisir qu'ils savouraient jadis à la lecture d'un album Tintin. Il y aurait selon eux un je-ne-sais-quoi qui manque ou qui cloche dans cette production hollywoodienne.

Souvenons-nous du plaisir que nous ressentions lorsque, enfants, nous tournions frénétiquement chaque page d'un album Tintin. Bien qu'inanimés, les personnages d'Hergé nous semblaient plus vrais que nature. Cet état de grâce résultait évidemment du génie d'Hergé! Celui-ci avait su puiser dans notre imaginaire collectif, ce qui à la fois nous séduisait et nous terrifiait. L'imaginaire d'Hergé se superposait au nôtre avec une telle précision que nous scrutions chaque mot, chaque image avec délectation.

L'intrépidité de Tintin, l'alcoolisme du capitaine Haddock, les mièvreries des Dupont et Dupond, l'étourderie du professeur Tournesol ou les pitreries de Milou nous amusaient. Par contre, certains personnages méchants ou mystérieux nous effrayaient. Mais, malgré cela, le monde créé par Hergé nous comblait et faisait partie intégrante de notre intimité. Ces personnages nous appartenaient! Et c'était finalement nous qui, tels des marionnettistes, animions de notre esprit les fabuleux dessins d'Hergé.

Lire Tintin, c'était en quelque sorte apprivoiser la vie sous la loupe d'Hergé. Son oeuvre était une véritable ode à la vie. Grand pédagogue, Hergé nous initiait ainsi au monde qui nous attendait. À travers des aventures désopilantes, il amplifiait ses incongruités pour mieux nous les faire voir.

C'est ainsi que Tintin, son personnage principal, utilisant la plupart du temps la ruse de l'esprit plutôt que la force ou la violence physique, déjouait les unes après les autres et à notre plus grand plaisir les nombreuses embûches qui se présentaient devant lui. De plus, Hergé nous faisait découvrir des pays et des coutumes que nous ne connaissions pas.

La production de Spielberg, par contre, bien que relativement fidèle aux récits d'Hergé, ne procure pas tout à fait le même engouement. Avec le film, nous ne faisons plus partie de l'univers Tintin. Nous y assistons plutôt. Ce n'est plus nous qui animons de notre esprit les personnages d'Hergé. Ceux-ci, représentés en images 3D, nous écrasent tellement ils sont réels. Ils sont là, devant nous, presque en chair et en os, et, assez bizarrement, nous n'y croyons plus!

Le grand enfant Spielberg a pris notre place, toute la place, celui de notre imaginaire. C'est désormais lui qui dirige sur son plateau de tournage ceux qui, hier, étaient nos complices de vie.

Avec ses mises en scène mirobolantes, Tintin n'a d'ailleurs plus besoin de notre amitié. Il se débrouille très bien tout seul. Car le Tintin de Spielberg n'est plus tout à fait de notre taille. Dans le film, il exécute des prouesses extraordinaires. Il ressemble plutôt à un super héros américain.

Par exemple, l'habilité extraordinaire dont Tintin fait preuve en motocyclette ne nous sera jamais accessible. D'autre part, en se battant à mort avec l'aide de grues géantes, l'image que projette Spielberg du capitaine Haddock froisse nos souvenirs d'enfants. Le créateur de Jaws se permet ici des libertés!

Avec ses effets à l'emporte-pièce, Spielberg nous a volé Tintin et ses amis. Même Milou qui nous ravissait tant avec ses pitreries n'est plus tout à fait le même: sous l'impulsion de Spielberg, il a pris l'allure d'un chien vedette à la Walt Disney.

Nous pouvons nous questionner sur l'effet qu'aura ce film sur les jeunes générations. Car le cinéma, malgré ses attraits incontestables, n'aura jamais la portée de la lecture. Et il serait dommage que le film de Spielberg, par sa facilité d'accès et son côté spectaculaire, prive d'éventuels jeunes lecteurs de leur intérêt pour les magnifiques albums de Tintin.

Bon visionnement quand même!