«C'est Jean Paul Gaultier.» Debout, sur le bord de la rue Sainte-Catherine, je ne suis pas certaine de ce que mes oreilles viennent de me transmettre. Débarquée au centre-ville en coup de vent à la suite d'un appel téléphonique de ma chère maman, qui m'apprend qu'un défilé en l'honneur de Jean Paul Gaultier a lieu au centre-ville à 19h30.

«C'est Jean Paul Gaultier.» Debout, sur le bord de la rue Sainte-Catherine, je ne suis pas certaine de ce que mes oreilles viennent de me transmettre. Débarquée au centre-ville en coup de vent à la suite d'un appel téléphonique de ma chère maman, qui m'apprend qu'un défilé en l'honneur de Jean Paul Gaultier a lieu au centre-ville à 19h30.

En deux temps, trois mouvements, j'étais au milieu de la foule, en plein coeur de Montréal, assistant à la transformation d'une ville en vrai village carnavalesque: Pinkarnaval, inspiré par Jean Paul Gaultier.

Alors, donc, je suis sur le bord de la rue Sainte-Catherine. «Jean Paul Gaultier, ici, à Montréal?» Et là, le miracle se produit: je l'aperçois, précédant le défilé, arborant un chapeau matelot et un haut aux rayures blues et blanches, icônes indéniables de ce grand créateur qui a profondément marqué le monde de la mode.

À mon grand étonnement, il avance librement, accompagné de quelques proches et gardes de sécurité l'encadrant discrètement. Je plonge automatiquement une main dans ma sacoche pour en retirer un stylo et, sans réfléchir, je m'élance au milieu de la rue déserte, dénuée de ses passants tous amassés sur le trottoir en attente du carnaval.

Rendue pile en face de lui, au lieu de lui demander un autographe, j'opte par instinct pour le contact humain: je lui tends la main. Il me la tend à son tour avec tant d'humanité et d'ouverture, un sourire éclatant sur son visage, que j'en ai le souffle coupé: «Enchantée!», j'arrive à lui dire, happée par un vent d'admiration et par l'immense honneur que me vaut cette rencontre inattendue. J'ai serré la main de Jean Paul Gaultier... Mon état vaporeux se dissipe brusquement lorsque je suis assiégée par une vague de fans souhaitant tous une photo avec M. Gaultier. Les gardes du corps s'activent aussitôt, repoussant la foule qui a viré un peu «capoute».

Faut pas nous en vouloir, ce n'est pas tous les jours que Jean Paul Gaultier débarque à Montréal. Je me dégage de peine et de misère de ce chaos temporaire et retourne vers la sécurité de mon bout de trottoir.

Et là, alors que le hip-hop de l'enfant terrible défile devant moi, le désir d'une authentique signature Gaultier refait surface dans ma pensée. Je décide d'aller jusqu'au bout de mes ambitions. Une vraie mamarrazi, que j'me dis. Mais moi, ce n'est pas par folie pour le monde des vedettes que je fais ça, c'est pour emporter avec moi un souvenir, une trace de ce précurseur de la beauté, cet inspirateur contre-courant, ce visionnaire social et humaniste. Et surtout, c'est pour ma grand-mère.

Je m'élance dans la foule, esquissant mon passage jusqu'au début du défilé. J'entrevois Jean Paul qui quitte la rue Sainte-Catherine pour aller s'installer sur le trottoir d'en face, sur les marches de la cathédrale Christ Church de Montréal, pour ainsi pouvoir admirer son défilé au milieu des spectateurs. Je le vois alors, le sourire fendu d'une oreille à l'autre, regardant avec de grands yeux d'enfant ces artistes, ces habitants de Montréal, créateurs et acteurs, tous inspirés par son oeuvre. Il applaudit, il s'exclame, il rit. Je découvre alors l'homme derrière les rayures. Le défilé est incroyable. Un réel hommage à l'oeuvre d'une vie. Je me demande comment il se sent. Je ne suis même pas lui et je suis tout émue devant l'ampleur de ce témoignage authentique et vivant.

C'est alors qu'un espace s'ouvre en face de moi, entre deux tableaux du défilé. C'est le moment. Je m'élance dans la rue, esquivant la sécurité du Festival Juste Pour Rire, pour rejoindre le trottoir opposé. Sans plus attendre, je monte les marches de l'église vers le grand couturier. «Vous pouvez me faire un autographe S.V.P.?», et je lui tends la brochure du festival. «Ton nom?» Blanc de mémoire. Deux secondes. Je retrouve la mémoire: Véronique. Et poussant ma chance encore plus loin, car nous n'avons quand même qu'une vie à vivre et il faut saisir l'opportunité quand elle passe, «Vous pourriez en faire une aussi pour ma grand-mère? C'est Jacqueline.» Il me remet la brochure avec les deux autographes. «Merci beaucoup! Merci!»

Je pensais alors avoir atteint le summum de la soirée, lorsqu'une discothèque mobile passe sous mon nez avec comme DJ nulle autre qu'Ève Salvail, mannequin fétiche de Jean Paul Gaultier. Je me place en arrière du char allégorique dans la rue pour rejoindre la foule qui danse et qui crie des «Ooou! Oooou!» au son de la musique de DJ Evalicious, lorsque je vois Gaultier s'élancer, lui aussi, en arrière de la disco mobile en chantant des «Oooou! Ooooou!»  les bras en l'air.

Vraiment, quel homme. Incroyable.