L'heure est au bilan avec la fin de la mission de combat du Canada en Afghanistan. D'un côté, plusieurs font échos aux propos élogieux des autorités canadiennes, lesquelles vantent les progrès réalisés en matière de sécurité et de gouvernance. De l'autre se trouvent La Presse et Le Devoir, dont les éditoriaux contrastent avec ceux du Canada anglais en ce qu'ils tracent un portrait résolument négatif de l'engagement canadien à Kandahar.

L'heure est au bilan avec la fin de la mission de combat du Canada en Afghanistan. D'un côté, plusieurs font échos aux propos élogieux des autorités canadiennes, lesquelles vantent les progrès réalisés en matière de sécurité et de gouvernance. De l'autre se trouvent La Presse et Le Devoir, dont les éditoriaux contrastent avec ceux du Canada anglais en ce qu'ils tracent un portrait résolument négatif de l'engagement canadien à Kandahar.

Alors qu'André Pratte parle d'«échec» de la mission visant à rendre l'Afghanistan stable et démocratique, Bernard Descôteaux craint que «l'Afghanistan revienne là où il fut déjà et que tous les efforts de reconstruction, de pacification et de démocratisation déployés aient été vains». Les deux principaux quotidiens québécois s'entendent sur le fait que le Canada devrait, à l'avenir, se montrer beaucoup plus réservé à l'idée de prendre part à des opérations militaires au nom du devoir d'ingérence, même humanitaire.

Ces interprétations reflètent l'opinion des Canadiens et encore davantage celle des Québécois. Une majorité de Canadiens appuie la fin de la mission à Kandahar et seuls 41% soutiennent la participation de leur pays à la guerre en Libye.

Faut-il ainsi en déduire que la principale leçon que le gouvernement canadien doit tirer de son engagement militaire en Afghanistan est de ne plus s'aventurer dans de telles missions? Doit-il, comme le suggère Mario Roy, réserver ses interventions militaires là où ses «intérêts vitaux» sont en jeu?

Le Canada n'a, dans l'environnement stratégique contemporain, que très peu d'intérêts vitaux effectivement en jeu. Ni les citoyens canadiens ni le territoire canadien ne sont menacés gravement, comme ce fut le cas à l'époque de la guerre froide. Si la «stabilité internationale» demeure importante pour la sécurité et la prospérité du pays, elle est réalisable sans le concours des Forces canadiennes. Les menaces qui pèsent contre le Canada, telles que le terrorisme et les pandémies, peuvent être contrées sans une participation significative aux interventions militaires occidentales.

Les déploiements militaires expéditionnaires du Canada (Afghanistan, Libye, Haïti, ex-Yougoslavie, etc.) sont de l'ordre du choix plutôt que de la nécessité. L'idée de réserver les interventions militaires canadiennes aux menaces vitales contre le pays implique donc nécessairement un retour à l'isolationnisme militaire.

Une telle perspective est toutefois très peu probable. Car les «intérêts nationaux» canadiens, tels que perçus par nos décideurs politiques (québécois inclus), sont animés par deux grandes interprétations du devoir moral du pays.

D'une part se trouve l'idée que les Canadiens sont des «citoyens du monde» et que, à ce titre, ils doivent contribuer de manière proportionnelle à leurs moyens - c'est-à-dire significativement - aux opérations militaires internationales sanctionnées par l'ONU. Ce qui inclut les guerres d'Afghanistan et de Libye.

Une seconde interprétation des intérêts nationaux est particulièrement en vogue depuis la fin des années 90. Il s'agit de définir le Canada comme un allié de taille des États-Unis, de l'Europe et d'Israël en raison de valeurs démocratiques et libérales communes. Cette perception explique pourquoi la guerre en Libye est la quatrième à laquelle prend part le Canada en 20 ans.

Les vices reprochés au gouvernement Harper à propos de la Libye et de l'Afghanistan sont nombreux et justifient sans doute en partie l'appel québécois à l'isolationnisme. Y figurent un engagement militaire précipité en dépit d'un manque d'information et de stratégie de sortie, et l'octroi de sommes colossales d'aide publique au développement malgré la corruption et le manque de transparence des principaux récipiendaires.

Mais le principal reproche que l'on peut adresser au gouvernement Harper explique lui-même pourquoi le retour à l'isolationnisme militaire est une utopie. Il s'agit du manque d'imputabilité dû au consensus entre les dirigeants politiques quant aux intérêts canadiens à prendre part aux opérations militaires offensives de l'Occident. Le vote quasi unanime aux Communes en faveur de la prolongation de la mission en Libye, ou encore les accords inter-partisans afin de poursuivre l'effort militaire en Afghanistan malgré l'opposition d'une majorité de Canadiens, illustrent la force et la pérennité du consensus.

Quoiqu'en pensent les Canadiens - et les éditorialistes québécois - un retour à l'isolationnisme militaire s'avère très peu probable en raison de la conviction des élites canadiennes que le pays doit s'afficher comme partenaire militaire fiable et engagé sur la scène internationale. Et ceci, malgré les risques d'enlisement et d'échec de telles offensives.

* L'auteur est professeur adjoint à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa et chercheur associé à la chaire de recherche du Canada en politiques étrangères et de défense canadiennes de l'UQAM.