SAIS-TU COMBIEN JE T'AIME, PAPA?

SAIS-TU COMBIEN JE T'AIME, PAPA?

Il y a 33 ans, tu devenais père pour la deuxième fois, alors qu'au départ, tu ne voulais pas d'enfants. Déjà, à l'époque, tu disais que les humains étaient trop fous et la Terre en bien mauvais état pour mettre au monde des êtres à l'avenir incertain. On peut comprendre la crainte et l'angoisse que tu ressentais, ayant toi-même dû fuir la France pour ne pas faire la guerre d'Algérie au cours de laquelle trop de tes amis y ont trouvé la mort.

Né en France de parents polonais, qui eux-mêmes avaient fui la révolution bolchevique avec leurs parents dans les années 20, tu t'es retrouvé privé de ta maman un an après ta naissance, en 1944, lorsque ton père, résistant, a été éliminé par les nazis à Buchenwald, en Allemagne.

À l'âge de 6 ans, après avoir parlé toutes les langues, sauf le français, tu as de nouveau été coupé de tes racines et plongé dans le système scolaire plutôt castrant de la France des années 50. Révolte et soif de liberté t'animaient alors et tu ne rêvais plus que de rivières et de cannes à pêche pour combler tes journées de malmené.

Même si tu a été un élève plus que doué, l'école buissonnière était ton mode de vie. C'en était trop ; on t'a envoyé à la ferme travailler à la dure, car tu n'avais pas compris, selon les autres, la «vraie» vie. Quelques années plus tard, c'était le service militaire obligatoire. Peu de temps avant ton départ pour l'Algérie en 1962, un vieil oncle qui habitait au Canada t'as fait parvenir un billet, aller simple, vers le Québec. Tu étais un déserteur que la France a recherché pendant sept ans. Qu'à cela ne tienne, tu n'es jamais retourné. Cinquante ans et des poussières plus tard, te voilà marié à une Québécoise d'origine et grand-papa de trois petits-enfants, mes enfants.

Jamais je ne t'ai entendu te plaindre ou regretter quoi que ce soit, malgré les moqueries au sujet de tes origines et de ton nom de famille, malgré les injustices et les difficultés qui ont truffé ton chemin. Dire que tu as fait preuve de courage est bien peu lorsqu'on regarde le film de ta vie. À 68 ans, tu te tiens toujours aussi droit et restes plus qu'actif et généreux de ton temps auprès des jeunes immigrants nouvellement arrivés au Québec. Tu veux faire pour les autres ce que l'on n'a pas fait pour toi. Je t'écris donc cette lettre pas seulement pour la fête des Pères, mais parce que tu es mon père et que je t'admire beaucoup.

Papa, merci pour les sous prêtés en cachette, merci pour ton écoute à tout moment de la journée, même si je t'ai souvent reproché, à tort, «de ne jamais m'écouter». Merci de me montrer que la vie est une roue qui tourne et que c'est à mon tour de transmettre à mes petits ce que tu m'as appris : l'amour inconditionnel, le non-jugement, la patience, la persévérance, la résilience et l'humour. Merci de me permettre d'être ce que je suis aujourd'hui, un professeur comblé par des élèves qui viennent des quatre coins du monde, comme toi à une autre époque. Enfin, merci, papa, pour tous les «Catherine, tu sais que je t'aime?» que je dis sans relâche à Maëlle, Maude et Mathieu. Mais en passant, papa, sais-tu à quel point, moi, je t'aime?

Catherine Kozminski est professeure de français au Collège Champlain, à Saint-Lambert.

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MON PÈRE S'ENFONCE...

Mon père a subi un AVC le 9 novembre dernier. Pour cet homme de 81 ans, fier, sportif, autonome, marié et père de trois garçons, la chute fut brutale.

Paralysé du côté gauche, il a obtenu des soins de premier plan du personnel de l'hôpital Notre-Dame et du centre de gériatrie de l'Université de Montréal. De très bons soins et un suivi attentif du personnel spécialisé. Aujourd'hui, ces soins sont gâchés par le manque de service, de compassion, de communication, d'engagement, de supervision au CHSLD où il réside désormais.

Je ne connais rien au système de santé et ne m'y intéresse que très peu. Comprenez ma surprise le premier soir lorsque les préposés ont imposé la couche à mon père qui avait toujours été propre dans les premières semaines suivant l'AVC. Devant le refus de la famille, mon père a gagné quelques jours, sans plus.

Depuis son arrivée, c'est l'opération «retour aux couches», malgré son opposition, notre opposition. Il faut se battre pour obtenir un soutien des préposés, un soutien du personnel infirmier, un soutien de la «structure».

Papa, qui ne voulait pas de couche et qui est conscient de sa situation et fier de sa personne, sonnait pour le soutien d'un préposé : une demi- heure, une heure, deux heures d'attente. En vain. Évidemment, un jour, à un moment, la couche s'avérait nécessaire...

Récemment, on retrouvait papa couché dans son lit, à longueur de journée. Selon le personnel il ne peut plus se tenir sur son pied valide. Conséquemment, la couche 24 heures sur 24 et aucun déplacement de la chambre aux toilettes. Maman, dévouée, mariée depuis plus de 55 ans, âgée de 78 ans, peut, elle, l'amener aux toilettes. Seule. Sans aide, même si on le demande gentiment... Si maman est là, papa peut conserver ainsi un peu de sa dignité, de son autonomie. Sinon, la couche...

Papa s'enfonce lentement, mais sûrement dans un monde où l'espoir existe de moins en moins. Et maman, le suit, lentement, inévitablement. Il a gagné des couches, mais a perdu sa fierté et sa dignité au CHSLD.

Jacques Marquis

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BONNE FÊTE, MON BON PAPA

Les pères, nous voudrions les façonner. Il faudrait qu'ils soient roses, mais pas trop. Il faudrait qu'ils sachent pleurer, mais pas trop. Jeunes, mais expérimentés, fort, mais pas violents. Qu'ils sachent garder les enfants, faire la vaisselle, la lessive et j'en passe. Moi, j'ai longtemps pensé que mon père était plus fort que le tien. Dans les faits, je suis devenu plus fort et plus grand que lui. Je l'aimais parce que toutes les semaines, nous sortions les vidanges ensemble et qu'après, nous allions acheter une récompense au dépanneur au grand dam de maman.

Je l'aimais parce qu'il était tannant. Ma grand-mère lui disait tout le temps: «Vas-tu finir par te calmer avec quatre enfants sous ta responsabilité». Mon père a toujours été joyeux. Un peu bourru à l'occasion, mais drôle la plupart du temps. Il acceptait qu'on rie de lui.

Je me souviens de tant de petits événements, comme la fois où il devait passer l'aspirateur, mais ne savait pas où il était rangé. La fois qu'il m'a montré à faire mon lit. Je l'aimais, parce qu'il s'agenouillait à moitié lors de la prière du soir. Parce qu'il était l'homme de la maison. Gauche dans les tâches ménagères, mais tellement doux et amoureux de maman et de ses enfants que nous lui pardonnions ses incompétences.

En résumé, il respirait le bonheur et la bonté. Maintenant que je suis grand, père et grand-père moi-même, je me pose la question : la bonté et l'amour n'est-ce pas ce qui fait la marque d'un bon père? Bonne fête, mon bon papa.

Roger Roberge est médecin et père de sept enfants.