Après coup, une fois la poussière retombée, et surtout en connaissant la suite de l'histoire, il est plus facile de retracer la structure des tendances qui se sont déroulées pendant l'élection fédérale 2011. En prenant un peu de distance, le phénomène semble moins irrationnel. Le tsunami a été précédé de signes avant-coureurs.

Après coup, une fois la poussière retombée, et surtout en connaissant la suite de l'histoire, il est plus facile de retracer la structure des tendances qui se sont déroulées pendant l'élection fédérale 2011. En prenant un peu de distance, le phénomène semble moins irrationnel. Le tsunami a été précédé de signes avant-coureurs.

Il faut d'abord se rappeler qu'en 2004, le Bloc récoltait 49% des votes ; en 2006, c'était 42% et, en 2008, ses appuis tombaient à 38%. En quatre ans, le Bloc avait perdu 11 points d'appui. Quant au NPD, la croissance était déjà amorcée: en 2004, les néo-démocrates avaient recueilli 4,6% du vote, 7,5% en 2006, puis 12,2% en 2008. Cependant, rien ne pouvait laisser présager qu'ils bondiraient d'une manière exponentielle à 42,9%.

En prenant un peu de distance, les résultats du 2 mai ne sont donc pas aberrants ou irrationnels; ils s'expliquent par des continuités plus profondes, repérables dans les scrutins précédents. Ce qui échappe à l'analyse c'est évidemment l'accélération du processus. Et c'est ici que le triste slogan du Bloc - Parlons Qc -, les propos malheureux de Gérald Larose, l'absence de dossiers «chauds», comme lors des scrutins de 2004 et 2008, ou le sourire de Jack Layton viennent jouer un rôle additionnel. Que s'ajoutent des phénomènes relevant du bandwagonning, analogues aux engouements d'une foule, n'invalide pas la thèse de la rationalité du choix des Québécois.

En prenant encore plus de recul, le choix des Québécois s'inscrit dans une transformation plus profonde, qui touche bien des éléments de la culture politique. Au cours des dernières années, on a vu plusieurs artistes et intellectuels se désengager, ou du moins afficher un scepticisme par rapport à la cause qui a tenu en haleine toute une génération. Au sein de la classe politique, des désengagements retentissants ont marqué l'actualité.

En fait, le projet souverainiste, bien qu'il frôle encore la barre du 40% d'appuis, semble en dormance depuis plusieurs années. Il n'est plus au coeur de l'agenda; il n'est plus posé comme une condition au développement du Québec. Le projet ne relève plus de l'urgence ou de la nécessité. Beaucoup estiment d'ailleurs que la souveraineté ne se réalisera jamais. L'engouement pour le projet est tellement à plat que même la direction du PQ refuse de s'engager dans un échéancier. Il en va de même de l'intérêt pour la québécitude, déclinée sous toutes ses formes. Dans la culture, autant la chanson que la poésie, le nationalisme n'est là qu'accessoirement.

Symptôme additionnel d'un changement majeur: pour gagner le coeur des Québécois, le NPD n'a pas versé avec abondance dans une déclinaison du nationalisme. Il faut se rappeler que toutes les grandes séductions qui ont historiquement balayé l'électorat québécois avaient chaque fois fait fortement vibrer la corde nationaliste. Pierre Trudeau incarnait le French Power à Ottawa lors des élections de 1968 et les subséquentes. Brian Mulroney avait tablé sur l'honneur, l'enthousiasme et la promesse solennelle de réparer le «gâchis» constitutionnel pour séduire les Québécois en 1984. Même Stephen Harper, en 2006, avait joué la carte du «fédéralisme d'ouverture» pour son «French Kiss».

Cette fois, rien de semblable. Le NPD et Jack Layton n'ont rien promis: ils n'ont pas eu à utiliser cet ingrédient. Le NPD a même appuyé le Bas-Churchill, un projet décrié d'une seule voix par l'Assemblée nationale. La déclaration de Sherbrooke, adoptée en 2005 par les instances du NPD, inconnue du grand public, montre une certaine ouverture, mais guère plus. Et quand Gilles Duceppe a talonné Jack Layton sur ce qu'il entendait par «conditions gagnantes», le chef néo-démocrate est resté évasif, répétant qu'il n'y avait pas d'urgence. Sur l'application de la loi 101, Jack Layton s'est avancé un peu plus, mais si peu.

En fait, la question du Québec n'a pas été au coeur des débats. L'électorat québécois a été séduit sans que le séducteur n'ait à se draper de bleu. La couleur de cette séduction pourtant massive constitue un autre signal inquiétant pour les nationalistes québécois.

* L'auteur est professeur titulaire à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.