La tragédie du 11 septembre 2001 restera pour moi un événement d'une ampleur peu commune, qui nous a tous bouleversés. Mais en apprenant qu'Oussama ben Laden, le maître d'oeuvre de cette sauvage attaque, avait été abattu par un corps d'élite de soldats américains au Pakistan, je n'ai pas ressenti le moindre sentiment libérateur qu'enfin, justice avait été rendue pour toutes les innocentes victimes.  

La tragédie du 11 septembre 2001 restera pour moi un événement d'une ampleur peu commune, qui nous a tous bouleversés. Mais en apprenant qu'Oussama ben Laden, le maître d'oeuvre de cette sauvage attaque, avait été abattu par un corps d'élite de soldats américains au Pakistan, je n'ai pas ressenti le moindre sentiment libérateur qu'enfin, justice avait été rendue pour toutes les innocentes victimes.  

J'ai plutôt spontanément eu l'impression que nous venions d'être replongé dans un épisode de grande violence, que l'on prétend être salvatrice, pour justifier l'«opération».

Le juriste que je suis se réjouit d'avoir l'immense chance de vivre dans un État de droit. Il ne s'agit pas là d'un privilège qui est donné à tous les citoyens du monde, bien au contraire.  

Quotidiennement, des peuples descendent dans la rue pour revendiquer dans leur pays de droits et libertés que nous prenons pour acquis.  Les exemples récents de l'Égypte, de la Tunisie et de la Libye sont là pour nous le rappeler.

Cette notion, tout aussi abstraite qu'elle puisse paraître, revêt une importance fondamentale dans notre vie de tous les jours, même si nous n'en mesurons pas les effets. Elle signifie que personne, ni même le gouvernement d'un État, n'est au-dessus de la loi. Elle renvoie au principe de la primauté du droit et de la séparation des pouvoirs, notamment du pouvoir judiciaire, par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif. Le gouvernement ne peut donc être juge et partie.

L'État de droit est le fondement des démocraties parlementaires, comme la nôtre et celle des États-Unis. Or, dans nos démocraties, l'un des droits fondamentaux de tout individu est notamment celui d'avoir droit à un procès juste et équitable, et donc de ne pas être condamné de façon sommaire ou arbitraire.  

Il n'est pas question ici de prétendre que les gestes, incitations, meurtres ou autres horreurs qu'aurait pu commettre Oussama ben Laden ne devraient pas être punis de la façon la plus sévère qu'un État de droit a prévu en pareilles circonstances. Il s'agit cependant de ne pas permettre ni accepter que quand bon lui semble, alors qu'il prétend que les circonstances le justifie, un État puisse contourner ce principe fondamental qu'il a choisi d'enchâsser dans sa loi fondamentale, pour quelque raison que ce soit.

Comment croire qu'ultimement, la société dans son ensemble ne remettra pas en question l'intégrité et la valeur de son système de justice si l'État, par sa conduite, choisi unilatéralement de se faire justice?

Ainsi, malgré l'immense peine ressentie par la tragédie qu'ont vécu nos voisins, je ne peux me résoudre à accepter les explications du président Obama pour justifier cette mise à mort qu'il a ordonnée, d'autant que les services de renseignements américains avaient localisé ben Laden depuis plusieurs mois et qu'ils suivaient manifestement ses moindres gestes.  

Cette décision, qui peut paraître justifiée par toutes sortes de considérations et impératifs - pensons à la reconnaissance par ben Laden des crimes commis et des risques pouvant être associés à la détention d'un pareil prévenu et à la tenue d'un procès -, n'en demeure pas moins injustifiable aux yeux de la loi.

Il est donc extrêmement difficile de réconcilier cette décision du président Obama avec les principes qu'il a pourtant défendus avec ardeur avant son élection et qui s'étaient traduits par plusieurs gestes concrets, dès sa prise de pouvoir.  

Il est tout aussi difficile de ne pas y voir un certain lien avec une importante montée sur sa droite, d'une idéologie qui brandit avec succès le spectre du terrorisme sur le territoire américain, vu l'inaction et le manque de leadership dont ferait preuve le président.  

Il est permis de se demander si cette décision ne tient pas d'avantage du calcul stratégique du président et de ses proches conseillers, en reléguant au second plan les idéaux et les valeurs fondamentales qui animaient M. Obama au moment où devant le monde, il prêtait serment de défendre la constitution de son pays.