La décision de la Grande-Bretagne, de la France et de l'Italie d'envoyer en Libye des «conseillers» militaires afin d'aider la rébellion marque une nouvelle étape dans ce conflit. Pas à pas, sans discussions publiques ni débats dans les parlements, l'engrenage est enclenché. Et dans quelque temps, on verra à la télévision des combats entre soldats occidentaux et soldats libyens, ce que nos dirigeants jurent pourtant ne pas souhaiter.

La décision de la Grande-Bretagne, de la France et de l'Italie d'envoyer en Libye des «conseillers» militaires afin d'aider la rébellion marque une nouvelle étape dans ce conflit. Pas à pas, sans discussions publiques ni débats dans les parlements, l'engrenage est enclenché. Et dans quelque temps, on verra à la télévision des combats entre soldats occidentaux et soldats libyens, ce que nos dirigeants jurent pourtant ne pas souhaiter.

La presse britannique évoque maintenant le spectre du Vietnam. Au début des années 60, le gouvernement américain avait décidé l'envoi de quelques centaines de conseillers militaires pour soutenir l'armée sud-vietnamienne face aux rebelles du Viêt-Cong et aux infiltrations du Nord-Vietnam. Il n'était pas question d'envoyer de troupes de combats.

Dix ans plus tard, 500 000 soldats américains étaient présents au Vietnam dans une guerre qui, faut-il le rappeler, a commencé par une manipulation - l'incident du golfe du Tonkin - et n'a jamais été déclarée officiellement. Mais la Libye n'est pas et ne sera pas un Vietnam pour les Occidentaux. Les conditions sur le terrain, l'environnement international, les forces en présence ne permettent pas une telle comparaison.

Que se passe-t-il alors en Libye? À Paris, comme à Londres et à Washington, on a tout simplement surestimé les capacités de la rébellion à renverser le régime en place et sous-estimé la volonté de résistance du colonel Kadhafi, de son armée et de ses partisans.

Au début de l'intervention, aujourd'hui militaire, il y a un mois, on pensait en finir rapidement en détruisant quelques chars et centres de commandement au moment où les rebelles occupaient des points stratégiques. Kadhafi est aux abois, disait-on, il négocie sa sortie. Les rebelles, eux, attendaient d'entrer dans Tripoli. Il n'en fut rien. La contre-offensive a été fulgurante, et les rebelles sont aujourd'hui dispersés et affaiblis.

Devant ce fiasco, les Occidentaux sont bien obligés de passer à une autre étape, celle qui est dans tous les cartons des états-majors lorsque la guerre aérienne ne fonctionne pas: envoyer des troupes au sol. Car c'est bien de cela qu'on parle lorsque les capitales européennes annoncent le déploiement de «conseillers» militaires pour une mission où ils doivent seulement, dit-on, professionnaliser les rebelles et les aider à organiser leurs systèmes de communication, de logistique et de commandement.

Ne croyez pas un instant aux dénégations des capitales qui disent ne pas vouloir participer aux combats: leurs «conseillers» y seront mêlés jusqu'au cou. Et si cela ne suffit pas, des bataillons entiers viendront leur prêter main-forte.

Et cela risque de ne pas suffire. En Europe, et en particulier en France, tout un courant qui a poussé à la guerre aérienne tente aujourd'hui de faire croire qu'avec quelques conseillers occidentaux et des armes, les rebelles peuvent gagner. Ce courant, le philosophe français Bernard-Henry Lévy en est le porte-parole autoproclamé, au point de verser dans une propagande, faisant de la vérité la première victime de la guerre.

Dans une tribune publiée mardi par Le Monde, le philosophe, fraîchement revenu d'un voyage de quelques jours en Libye, berne l'opinion publique occidentale lorsqu'il écrit que la rébellion se reconstruit, qu'un de ses dirigeants, l'ancien tortionnaire du régime, le général Younès, est un symbole de leadership, que les insurgés font maintenant preuve de maturité pour faire tomber Kadhafi et, qu'avec un peu d'aide, ils ont la capacité de passer à l'offensive. Son témoignage est contredit sur tous les points par les écrits sérieux et courageux des journalistes qui, eux, sont sur place depuis des semaines et qui, au risque de leur vie, transmettent de vraies informations sur cette rébellion. Ce qu'ils écrivent n'est pas très encourageant sur l'issue du conflit ni sur la démocratie à venir.  

Je le dis, la cause des révoltés libyens est juste. Il fait les aider, mais avec les yeux ouverts. Il est donc urgent que les Occidentaux et leurs philosophes de service aient l'honnêteté de la transparence dans leurs décisions et de la vérité dans leurs témoignages.