Depuis le début de la campagne, le Bloc québécois n'a jamais progressé dans les intentions de vote. Au début, il stagnait. Depuis les débats, il recule manifestement, ce qui le place sur la défensive.

Depuis le début de la campagne, le Bloc québécois n'a jamais progressé dans les intentions de vote. Au début, il stagnait. Depuis les débats, il recule manifestement, ce qui le place sur la défensive.

Où se situe-t-il au juste? Difficile à dire. Le dernier sondage CROP surévalue peut-être la progression du NPD. Les sondages faits par internet présentent des écarts parfois significatifs avec les sondages traditionnels. Et puis, entre les sondages et les élections elles-mêmes, il y a un monde: 1) le Bloc domine encore chez les francophones, donc dans la plupart des circonscriptions; 2) pour faire sortir le vote, le Bloc dispose d'une machine que le NPD n'a pas; et 3) les jeunes, enclins à voter pour le NPD, pourraient rester à la maison le 2 mai.

Il n'en reste pas moins que le Bloc s'effrite par endroits. Plusieurs sondages l'attestent. Pourquoi? On peut exclure les gaffes; le Bloc dispose indéniablement d'une machine bien rodée. Est-ce le chef? Évidemment non: Gilles Duceppe est le plus expérimenté et les sondages faits le soir du débat en français le donnaient victorieux. Est-ce l'équipe de candidats? Non plus. Dans la plupart des cas, il s'agit de députés expérimentés, bien connus localement et dédiés à leur circonscription.  

Dans les précédentes campagnes, le Bloc avait pu tabler sur des dossiers spécifiques: les compressions en culture en 2008 ou les commandites en 2004. Cette fois, rien de particulièrement percutant. Immanquablement, les paradoxes de la rhétorique  du Bloc ressortent plus nettement que jamais : un nationalisme défensif qui conduit le Québec à s'exclure de la gouvernance canadienne. Aux yeux de plusieurs, le discours nationalitaire traditionnel ressemble plus que jamais à un vieux disque usé.

Ce qui pose problème touche la raison d'être du Bloc québécois. Depuis 1993, le vote pour le Bloc est très redevable du niveau d'appui à la souveraineté. Or celle-ci ne connaît pas de regain depuis cinq ans. Plus encore, la thématique constitutionnelle n'est pas dans les priorités des Québécois. Une majorité estime même que ce projet ne se réalisera pas. Le projet semble peu à peu sortir des écrans radars. Les résultats des derniers scrutins parlent d'eux-mêmes : en 2004, le Bloc récoltait 49% des votes; en 2006, c'était 42% et en 2008 c'était tombé à 38%. Si le parti de Gilles Duceppe devait obtenir autour de 33% des votes le 2 mai, celui-ci poursuivrait un déclin annoncé par une lassitude profonde à l'endroit de son objectif ultime.

Cela est d'autant plus vrai que l'axe gauche-droite est plus polarisé que jamais du fait de la possibilité d'un gouvernement conservateur majoritaire. Une portion de l'électorat québécois est alors «disponible» pour examiner de nouvelles options. Que le transfert s'effectue principalement du Bloc vers le NPD n'est pas farfelu: les députés bloquistes et néo-démocrates ont souvent voté de la même manière dans les derniers parlements parce que fondamentalement, ils partagent plusieurs valeurs communes de centre gauche. Sauf pour les souverainistes les plus convaincus, le déplacement d'une case à l'autre  est facile, presque naturel. Tout compte fait, la personnalité sympathique de Jack Layton n'est que la cerise sur le sundae.   

La forte volatilité de l'électorat québécois est un symptôme d'un réalignement plus profond de la culture politique. Les «raisins de la colère» qui alimentaient le mouvement souverainiste pendant les années 70 et 80, réactivés en 90 avec la mort de Meech, ne sont plus actifs comme autrefois. Les deux partis souverainistes ont maintenant des pieds d'argile.Au cours de la dernière année, il a suffi que François Legault formule quelques idées pour qu'on voit le PQ perdre un bon tiers de ses appuis. En 2007, cette même volatilité symptomatique a été à l'avantage de Mario Dumont. En somme, les importants mouvements de l'électorat ne sont pas irrationnels. À partir de là, tout est possible. Gilles Duceppe peut mener une offensive contre le NPD et reprendre le terrain perdu, mais le Bloc peut aussi être frappé par un tsunami qui changera considérablement le paysage politique québécois et canadien.