La vague de révolution populaire qui déferle sur l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient depuis que le Tunisien Mohamed Bouazizi s'est immolé, en décembre 2010, vient de s'abattre avec fracas sur la Libye. Les manifestations contre la répression étatique, relayées par les médias sociaux comme Facebook et Twitter et conduites pour la plupart de manière pacifique, se font maintenant meurtrières en Libye.

La vague de révolution populaire qui déferle sur l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient depuis que le Tunisien Mohamed Bouazizi s'est immolé, en décembre 2010, vient de s'abattre avec fracas sur la Libye. Les manifestations contre la répression étatique, relayées par les médias sociaux comme Facebook et Twitter et conduites pour la plupart de manière pacifique, se font maintenant meurtrières en Libye.

«Je me battrai jusqu'à la dernière goutte de mon sang», a déclaré le leader libyen embastillé, délirant et mégalomane, le colonel Mouammar Kadhafi. Traitant les manifestants de «coquerelles» et imputant la révolte libyenne à l'influence d'étrangers, Kadhafi a menacé de «purger la Libye maison par maison», conjurant dangereusement le spectre de carnages systématiques commis en d'autres lieux et d'autres temps.

En 2005, le Canada et la communauté internationale ont déclaré à l'unanimité leur «responsabilité de protéger» les populations du génocide, des crimes de guerre, de l'épuration ethnique et des crimes contre l'humanité, y compris de l'incitation à les perpétrer, là où les États souverains ne sont pas capables ou disposés à le faire. Une fois exprimée cette ambitieuse déclaration, nous n'avons été ni fermes ni constants dans l'exercice de notre «responsabilité de protéger». Une doctrine ne vaut rien si elle n'est pas alimentée par la volonté ou même la capacité réelle de s'engager. Aujourd'hui, la Libye attend désespérément que nous assumions notre responsabilité, par le truchement de mesures multilatérales et de l'ONU.

Comme les communications sont interrompues dans une bonne partie de la Libye, il est difficile d'obtenir de l'information fiable: l'accès internet est coupé et les services téléphoniques sont limités et intermittents. Toutefois, des rapports émanant d'International Crisis Group et de Human Rights Watch révèlent que plus de 300 civils ont été tués sans distinction par les forces aériennes et terrestres du régime ou par des mercenaires à la solde de Kadhafi. Le ministre des Affaires étrangères de l'Italie, Franco Frattini, a même jugé crédible le bilan faisant état d'un millier de morts.

Nous savons gré à notre gouvernement de s'inquiéter des citoyens canadiens en territoire libyen et d'avoir exprimé son profond regret pour le décès de Libyens. Mais nous sommes convaincus que le Canada, d'une voix forte témoignant de son sens moral, doit abhorrer ce que les sénateurs américains John McCain et Joe Lieberman ont qualifié de «crimes contre l'humanité» et s'acquitter de sa responsabilité de protéger les Libyens en faisant nôtres et en recommandant les propositions suivantes.

- Il faut imposer un embargo international sur les armes et la technologie militaire pour prévenir la vente et la prestation d'autre matériel ou aide aux forces de sécurité libyennes, mais s'abstenir d'imposer des sanctions commerciales susceptibles de pénaliser encore davantage les civils.

- Le Conseil de sécurité de l'ONU doit imposer des sanctions radicales à l'égard de Kadhafi, de sa famille et des serviteurs du régime responsables de la répression. Leurs actifs doivent être gelés sans délai et ils doivent faire l'objet d'une interdiction de voyager. Les États-Unis et l'Union européenne songent à adopter de telles mesures, mais le Canada doit prendre les devants et imposer ses propres sanctions afin d'encourager les autres pays à faire de même.

- Comme la Lybie n'est pas partie au traité portant sur la Cour pénale internationale (CPI), le Conseil de sécurité doit traduire ses dirigeants devant la CPI afin qu'ils fassent l'objet d'une enquête pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité.

-  En réponse aux demandes de diplomates libyens courageux, d'avocats américains, de représentants de l'ONU et de groupes de défense, il faut établir une zone d'interdiction aérienne au-dessus de la Lybie en vertu du chapitre VII de la Charte de l'ONU, et en confier l'application à l'OTAN, afin de prévenir les attaques aériennes contre des civils.

-  La communauté internationale, et en particulier le Canada, doit offrir son soutien pour faciliter l'édification de la société civile libyenne et des institutions nationales qui ont été négligées et ignorées pendant les 40 ans de règne de Kadhafi.

Même si le Conseil de sécurité a exprimé sa «profonde inquiétude» et appelé la Libye à «assumer sa responsabilité de protéger sa population», la simple publication d'une déclaration à la presse ne suffit à rendre compte de la gravité de la situation en Libye, où la menace d'atrocités de masse est bien réelle. Il n'y a littéralement pas une minute à perdre.

La décision de la Ligue arabe de suspendre la participation de la Libye à ses réunions est un premier pas dans la bonne direction. Le flot de diplomates et de conseillers libyens de haut niveau qui ont démissionné et qui continuent de faire défection - comme les ministres de l'Intérieur et de la Justice et les diplomates en poste au Canada, aux États-Unis, à l'ONU et ailleurs - méritent d'être félicités pour leur courage.

Mais les discours percutants ne suffisent pas, ils doivent s'accompagner de mesures vigoureuses. Le Canada et la communauté internationale doivent soutenir la population libyenne qui, comme bien d'autres dans le monde arabe, revendique le respect des droits humains fondamentaux auquel devrait avoir droit tout citoyen qui y aspire. Alors qu'ailleurs, les protestations ont mené à une transition relativement pacifique ou à un dialogue en vue d'une réforme, les dirigeants libyens ont choisi la répression et les massacres.

Notre réaction pourrait bien avoir une incidence sur la décision du prochain gouvernement autoritaire menacée de suivre ou non l'exemple de Kadhafi. Il ne s'agit pas ici de choisir les gagnants, mais de se ranger du bon côté de l'histoire en sauvant des vies humaines.

Nous avons vu ailleurs ce que l'inaction, les tergiversations et l'obscurcissement coûtent aux populations innocentes. La responsabilité de protéger sous-entend une intervention mondiale auprès des populations civiles attaquées, que ce soit par leur propre gouvernement ou parce que leur gouvernement n'a pas les moyens ou la volonté de les protéger. La Libye se trouve très exactement dans cette situation.

Le Canada a l'occasion de contribuer à la mise sur pied d'une coalition onusienne qui pourrait intervenir rapidement. C'est une question d'heures et de jours, pas de semaines ni de mois.