Ça fait 20 ans que j'enseigne le français au secondaire, dans un collège privé pour filles. Le rêve! Pas un matin, je me suis levée sans avoir envie d'aller travailler. Les congés m'ennuient un peu et je suis toujours la plus motivée à recommencer l'école à la fin de l'été. J'aime mes élèves et elles me le rendent bien.

Ça fait 20 ans que j'enseigne le français au secondaire, dans un collège privé pour filles. Le rêve! Pas un matin, je me suis levée sans avoir envie d'aller travailler. Les congés m'ennuient un peu et je suis toujours la plus motivée à recommencer l'école à la fin de l'été. J'aime mes élèves et elles me le rendent bien.

Durant toutes ces années, j'ai vu passer bien des ministres, des directeurs, des modifications de la grammaire, de l'orthographe, des réformes et des changements de toutes sortes. Toujours, j'ai tenté de m'adapter du mieux que je le pouvais. Je ne suis pas une rebelle. La nouveauté ne m'effraie pas.

Pourtant, depuis quelque temps, ma motivation vacille. J'essaie de comprendre ce que les décideurs décident. J'ai quelquefois été en désaccord avec les grandes lignes, mais je suis toujours restée dans les rangs. Mais là, j'en ai marre. Cette année sera ma dernière comme enseignante.

Il y a eu la mode des compétences transversales, des bulletins cotés, chiffrés, l'évaluation des connaissances, puis non, puis oui... Les parents ne suivaient plus, alors on les a écoutés. On a donné beaucoup de devoirs puis, moins. On a baissé les exigences, on a joué, on a fait des projets, on a pris notre temps. Les productions écrites de 250 mots qui prenaient deux périodes à écrire se sont étendues sur trois, puis quatre.

Les élèves ne trouvaient plus leurs profs assez vivants, alors on leur a donné des portables pour les rejoindre, les divertir... Et là, moi, je m'y suis perdue. On m'a demandé de préparer du travail qui ne comptait plus l'année suivante. Ce que j'avais appris ne valait plus grand-chose; j'ai dû réapprendre, puis désapprendre parce que ce n'était pas ça, pas tout à fait. Et les parents qui ne comprenaient toujours pas...

Pourtant, dans ma classe, je suis restée la même. La prof drôle qui fait rire ses élèves pour qu'elles ne se rendent pas compte qu'elles apprennent, bien malgré elles ! J'ai continué à les faire lire, à leur donner des dictées, et, plus que tout, à les faire réfléchir. À leur transmettre mon bonheur d'apprendre. À les aider à réaliser la chance qu'elles ont d'apprendre en quelques instants ce qui a pris des siècles à se comprendre et à s'écrire. On a vibré ensemble.

Quand ma porte se referme sur ma classe, je sais comment expliquer ce qui est important. Qu'un adjectif soit une épithète ou un attribut, ce qui compte, c'est de savoir l'accorder. Les modes n'y changeront pas grand-chose et je sais, par expérience, ce qui reste et ce qui passe.

Alors lorsqu'on exige de moi de nouvelles grilles d'observation et d'évaluation, pour une centième fois, quand on me demande ça de toutes les manières possibles sans tenir compte de ce que je suis, en prétextant que mes élèves qui m'écoutent déjà bien m'écouteront davantage, je dis «stop»! J'en ai marre. Suffit.

Si les élèves se font tous tatouer, devrai-je moi aussi en faire de même pour entrer en communication avec eux? Et si le succès de chacun reposait dans la capacité qu'ont certains adultes à comprendre, à saisir ce qu'il faut? Et si les décideurs n'étaient pas que les bien-pensants de l'air du temps, mais des penseurs, des communicateurs, des humanistes, des vrais?

Je n'ai pas choisi mon métier pour les deux mois de vacances ou parce que je ne savais pas quoi faire de mon bac. Deux mois, c'est bien trop long pour moi et je ferais mon travail sans rien demander en retour. Mais je ne suis plus les réformes. Je tire de l'arrière.

Pourtant, lorsque j'écris mes examens à la main, mes élèves adorent ça parce qu'elles aiment mon écriture. Elles aiment que je dessine au tableau pour expliquer les règles de grammaire ou que je chante des chansons ridicules pour les aider à retenir certaines choses. Mais là, on me dit que ça ne convient plus. Les temps changent. Et je ne trouve plus ma place.