Le vent qui souffle en Europe, à droite et à l'extrême droite, est devenu en quelques mois nettement hostile au multiculturalisme, y compris de la part des chefs d'État.

Le vent qui souffle en Europe, à droite et à l'extrême droite, est devenu en quelques mois nettement hostile au multiculturalisme, y compris de la part des chefs d'État.

Angela Merkel, la chancelière allemande, a lancé l'offensive des droites en déclarant le 16 octobre dernier que «cette approche a échoué, totalement échoué».

Lui embrayant le pas, David Cameron, le premier ministre britannique, a affirmé le 5 février que le multiculturalisme est un échec, ce qui lui a valu les compliments de Marine Le Pen, la nouvelle dirigeante du Front national: «Je ne peux que le féliciter».

Et lors d'une émission télévisée, le 11 février, Nicolas Sarkozy, le chef d'État français, a apporté sa contribution à la disqualification du multiculturalisme en reprenant le même refrain. Dans son cas, on hésite quant au diagnostic: renversement complet, ou incohérence? En 2003, en effet, quand il était ministre de l'Intérieur, il proposait la nomination d'un préfet musulman, en tant que tel, et jusqu'en 2009, il se faisait le chantre des idées qui animent les positions favorables au multiculturalisme, par exemple en promouvant la discrimination positive ou en installant auprès du premier ministre un commissaire responsable de la diversité.

Les charges actuelles donnent l'image d'une grande cohérence idéologique des droites d'Europe. Mais que visent-elles? Avant tout, non pas tant un ensemble de différences culturelles clairement identifiées, qui sont stricto sensu l'objet du multiculturalisme, mais une nébuleuse sémantique regroupant l'immigration, le terrorisme, la criminalité, la délinquance, l'insécurité et surtout, l'islam, c'est-à-dire une religion.

Ôtons l'islam du débat: que reste-t-il dans le rejet du «multiculturalisme»? Les différences régionales, celles liées au genre, ou aux moeurs sexuelles, l'existence de communautés, en particulier venues d'Asie, qui n'ont guère de place dans les préoccupations de l'opinion et des médias... Toutes thématiques intéressantes, certes, mais relativement secondaires aujourd'hui. Le terme de multiculturalisme est inapproprié ici, car ce qui est en jeu est d'abord et avant tout une religion, et non une culture. Que celles-ci puissent se recouper est une évidence, mais cela n'autorise en aucune façon à les confondre, et à rejeter le multiculturalisme pour en réalité flatter l'islamophobie.

Inadapté, le terme est aussi disqualifié dans cette communion des droites et extrêmes droites, pour devenir toute autre chose que ce que ses promoteurs tentent d'expliquer. Il suffit de lire, par exemple, un de ses meilleurs théoriciens, le chercheur canadien Will Kymlicka, pour comprendre que le multiculturalisme, aussi bien dans son concept que dans les dispositifs institutionnels et politiques qui l'incarnent réellement, refuse toute tentation communautariste et au contraire concilie le droit et la raison, d'une part, et d'autre part le respect des différences.

Imputer au multiculturalisme le terrorisme, la violence, la domination des groupes et de leurs leaders sur les individus relevant de minorités, à commencer par les femmes, c'est en faire un bouc émissaire ou, au mieux, ne s'intéresser qu'aux dérives des modèles qu'il promeut, et non à ces modèles eux-mêmes.  

En Europe, la critique du «multiculturalisme» par les droites et les extrêmes droites va de pair avec l'appel à l'intégration des immigrés. Cet appel est toujours présenté comme une nécessité pour la nation, pour la société dans son ensemble, et jamais du point de vue des immigrés. Ceux-ci sont alors définis comme autant de problèmes ou de sources de difficultés, rien d'autres, et le message qui leur est adressé est vite si peu conforme aux réalités de leur expérience sociale qu'il ne peut être qu'incantatoire, et répressif : que signifie l'injonction de l'intégration, si les moyens de la réussir ne sont guère proposés?

Le rejet actuel du multiculturalisme au nom d'une intégration qui devient mythique devrait interpeller les gauches européennes, plutôt divisées à son sujet: elles auraient bien tort de se contenter d'embrayer le pas aux droites et aux extrêmes droites.