Le Tribunal des droits de la personne vient d'ordonner à la Ville de Saguenay de cesser la prière avant les réunions du conseil municipal et de retirer tous les symboles religieux de la salle du conseil. «Abusif», disent certains, «ça ne fait de mal à personne» ou «c'est seulement une tradition», selon d'autres.

Le Tribunal des droits de la personne vient d'ordonner à la Ville de Saguenay de cesser la prière avant les réunions du conseil municipal et de retirer tous les symboles religieux de la salle du conseil. «Abusif», disent certains, «ça ne fait de mal à personne» ou «c'est seulement une tradition», selon d'autres.

Dernièrement, à l'émission Huis-clos, à Télé-Québec, on demandait aux participants: «Êtes-vous pour ou contre l'interdiction de tous les signes religieux dans la fonction publique?» Dans ce débat, ce qui m'a le plus frappé, c'est que personne, même parmi les experts invités, n'a proposé de perspective historique pour bien situer la question.

Pourtant, comment se faire une opinion sans se demander pourquoi plusieurs sociétés se posent actuellement cette question? On y répond avec la meilleure volonté du monde, certes, mais comme si la religion était un sujet sans trop de conséquences. C'est ignorer l'histoire que d'aborder ainsi cette question majeure... qui ne date pas de l'arrivée récente de nombreux immigrants au Québec! À travers les siècles, les liens entre la religion et l'État ont presque toujours mené à des guerres entre des pays ou des groupes sociaux. Et c'est toujours vrai aujourd'hui: des États religieux appellent encore à la «guerre sainte» - et certains leur répondent In God We Trust, Dieu est de notre côté. Devant une telle réalité, le plus prudent n'est-il pas d'établir une cloison étanche entre la religion et l'État?

Mais il y a plus. Les religions ont souvent été (et sont encore) un outil d'oppression pour certains groupes, et en particulier les femmes. Pour s'en rendre compte, il n'est pas nécessaire de remonter les siècles: au Québec, dans les années 1950, les curés exhortaient les femmes à se soumettre en tout à leur mari sous peine de subir un châtiment divin. Est-il étonnant, alors, que la question d'un signe religieux en particulier, le voile - puisque c'est souvent le coeur du débat -, provoque des réactions chez plusieurs femmes qui se sont battues pour leurs droits et pour l'égalité avec les hommes? Le voile, c'est couvrir les femmes afin que soit cachée une partie de ce qu'elles seraient en tant que «sources de tentation» et «instruments du mal».

C'est à l'État, et non aux religions, d'énoncer les valeurs qui fondent notre société et d'en faire la promotion, clairement et fermement. L'une de ces valeurs est l'égalité des hommes et des femmes; l'État et ses représentants ne doivent donc d'aucune façon être liés à quelque religion que ce soit - y compris, bien sûr, à une religion dont les dirigeants nient cette égalité.

À l'émission Huis-clos, un philosophe invité a évoqué un argument selon lequel interdire le voile aux représentantes de l'État empêcherait des femmes de travailler, maintenant ainsi leur oppression. Parce que, a-t-il affirmé, des femmes choisissent de porter le voile; ni leur père ni leur mari ne les y obligent. Mais où est le choix? Une personne choisit-elle l'oppression à moins d'être convaincue qu'il ne peut en être autrement? Était-ce par choix que les Québécoises se pliaient autrefois aux diktats de l'Église catholique, ou plutôt parce qu'elles n'avaient pratiquement aucun moyen de remettre en question le caractère divin et immuable de ces règles?

Voilà donc des raisons sérieuses de faire une distinction formelle et absolue entre la religion et l'État. Cela signifie, entre autres, l'interdiction, partout où l'État joue son rôle (au Parlement, dans les tribunaux, à l'école, dans les hôpitaux, etc.), de tout signe religieux et de toute manifestation religieuse. Cela ne bafoue en rien la liberté religieuse. La religion relève de la sphère privée; dans le domaine privé et dans l'espace public (la rue, par exemple), toute personne a le droit de manifester son appartenance religieuse.

Le Québec doit envoyer à tous les citoyens et aux nouveaux arrivants un message clair sur la laïcité de l'État et les valeurs fondamentales de notre société. C'est la meilleure façon d'assurer la cohésion sociale et d'éviter de nombreux conflits. Non, on ne badine pas avec la religion.